CENTRE NATIONAL D'ETUDES SPATIALES
Groupe d'Etudes des Phénomènes Aérospatiaux Non-identifiés
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Toulouse, le 31 mars 1981 N° 091 CT/GEPAN
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NOTE TECHNIQUE N° 6
Enquête GEPAN n° 79/07
"A propos d'une disparition"
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1ère PARTIE
Compte rendu de l'enquête GEPAN n° 79/07
A. ESTERLE - M. JIMENEZ - JP. ROSPARS - P. TEYSSANDIER
2ème PARTIE
Complément d'informations à l'enquête GEPAN n° 79/07
A. ESTERLE
3ème PARTIE
Fabulation, délire et thèmes ufologiques
D. AUDRERIE
EPILOGUE
FABULATION DÉLIRE ET
THÈMES UFOLOGIQUES
Dominique AUDRERIE
SOMMAIRE
Les termes de fabulation, mythomanie et délire sont assez souvent employés
par des auteurs d'ouvrages ou d'articles ufologiques ( d'enquêtes ou de
réflexion ). Leur emploi est évidemment lié à des démonstrations qui visent
dans ce cas à établir l'absence de réalité objective des événements rapportés
par les témoins.
Mais, sait-on toujours à quelles structures psychopathologiques renvoit
l'usage de ces termes ? D'autre part, ne convient-il pas de s'interroger sur le
rapport entre certains discours issus de ces structures et la présence de
thèmes ufologiques actuellement répandus dans le contexte psychosocial ?
C'est pourquoi :
-
tenter d'expliquer pourquoi un sujet peut éprouver le besoin de fabuler
( expression d'une tendance mythomaniaque ) en illustrant le modèle
fourni par quelques exemples,
-
présenter brièvement dans un deuxième temps, des thèmes ufologiques
connus, comme supports possibles de manifestations pathologiques, à
partir d'une sélection de quelques lettres - au contenu bien particulier -
reçues par le GEPAN.
Nous dirons également quelques mots de l'enquête précédant cette études*.
(*) cf. enquête 79/07 et Complément d'information.
Apportons, en outre, quelques précisions sur la perspective théorique dans
laquelle nous nous plaçons. On sait qu'en psychopathologie co-existent et
s'opposent plusieurs modèles explicatifs de l'origine des troubles du
comportement.
Citons le modèle organiciste** qui établit une relation de cause à effet entre
des perturbations de zone cérébrales ( lésions ) et l'apparition de symptômes
psychiques, ce qui peut permettre d'expliquer éventuellement l'origine de
l'hallucination ou du délire.
(**) biologie, neuro-psychiatrie, d'où les thérapies médicamenteuses.
Rappelons d'autre part, quelques thèses du mouvement antipsychiatrique
pour lequel les maladies mentales ne peuvent pas entrer dans un système de
diagnostic médical ou nosographique***.
(***) nosographie : description des maladies, c'est leur classification.
Leur origine est conçue comme réaction aux événements et conditionnement
du milieu. Selon ces thèses, la maladie mentale serait la maladie de la famille
ou de la société, et il conviendrait d'abolir toute théorie de la différence du
normal et du pathologique. Une plus longue place est laissée à une
conception de la "maladie mentale" qui prend en compte les manifestations
psychodynamiques des structures inconscientes ( Laing, Delacampagne ).
Une autre conception psychopathologique s'inspire encore plus largement de
la théorie psychanalytique d'obédience Freudienne. Sans nier le rôle
déterminant joué dans certains cas par des perturbations organiques, c'est le
modèle intégrant la dimension de l'inconscient qui nous semble permettre les
développements les plus fructueux.
Car aborder ici la question de savoir pourquoi tel sujet éprouve le besoin de
produire un discours perçu, de l'extérieur, comme une fabulation ou un délire,
semble nécessiter le recours à un modèle théorique capable de rendre
compte, dans sa dynamique propre, de la genèse du fonctionnement mental
du sujet.
C'est pourquoi les pages qui suivent s'inscrivent dans le champ d'une
psychopathologie d'inspiration psychanalytique Freudienne ( conception de
Bergeret ), dans la masure où celle-ci dépasse une simple description des
symptômes pour re-situer la fonction de ces derniers par rapport aux modes
de structure de base de la personnalité.
Fabulation et délire seront pris ici au sens de symptômes renvoyant à une
défense du sujet contre un trop grand conflit interne insupportable pour lui. Le
critère de différenciation entre normal et pathologique coïncide avec le degré
de souffrance psychique éprouvé par le sujet, en état de désadaptation ( due à
un trop grand conflit interne ), par rapport à sa structure profonde.
Rappelons tout d'abord avec Bergeret ( 1974 ) les deux grandes structures de
base à plusieurs variantes, correspondant à des organisations
fondamentalement différentes du Moi : la lignée structurelle psychotique et la
lignée structurelle névrotique.
Les organisations qui occupent une position intermédiaire entre ces deux
structures sont désignées comme des "états-limites". Ces divers types
d'organisation du Moi dépendent pour l'essentiel de la construction de celui-ci
au cours des premières années après la naissance, l'adolescence étant le
deuxième moment important de l'orientation de sa structure.
La construction du Moi est liée à ses différentes façons de faire face à la
situation relationnelle initiale, par rapport aux pôles maternel et paternel.
Dans une première étape, à partir d'un même état primitif où il n'existe pas,
chez l'enfant, de différenciation entre Moi et non-Moi, corps et psychisme, la
qualité des frustrations subies va déterminer pour lui, le cadre de la pré-organisation
de sa structure. Quand il y a d'importantes frustrations précoces
du Moi, sa structure devient psychotique, avec une fixation à un état de
relation dit "fusionnel" de l'enfant vers sa mère ; le type d'angoisse spécifique
de cette structure est l'angoisse de morcellement. Nous verrons plus loin,
quelle peut être la réaction ( réponse protectrice ) du sujet au fait d'éprouver
cette angoisse.
Dans le cas où ces frustrations n'atteignent pas un degré aussi élevé, le sujet
suit une évolution "normale", accède ( vers l'âge de trois ans ) au complexe
d'Oedipe avec, en rapport avec la sexualité infantile, le vécu du conflit entre
les désirs à la fois amoureux et hostiles de l'enfant envers l'image paternelle et
maternelle, et ( entre autre ) le passage par des processus d'identification* de
l'enfant au père et à la mère, successivement.
(*) assimilation d'un aspect ou d'un attribut de l'autre qui est pris pour modèle.
Le type d'angoisse qui prédomine ici est l'angoisse de castration**
typiquement névrotique, angoisse de faute vécue dans le présent mais
centrée sur un passé très érotisé. La fin de la période de l'Oedipe donne
naissance, au sein de l'appareil psychique, au Surmoi, une des instances de
la personnalité dont le rôle équivaut à celui d'un juge ou d'un censeur à l'égard
du Moi. C'est par le processus d'identification aux parents que l'enfant
intériorise l'interdit dont ses désirs oedipiens sont frappés.
(**) liée à l'énigme que pose pour l'enfant la différence des sexes ; classiquement, le
garçon redoute la castration comme réalisation d'une menace paternelle en réponse à ses
activités sexuelles. Pour la fille, l'absence de pénis est ressentie comme un préjudice subi
qu'elle cherche à nier, compenser ou réparer ( cf. Laplanche et Pontalis, 1978 ).
Le Moi névrotique pré-organisé de l'enfant se stabilise définitivement en Moi
névrotique pendant l'adolescence, pour aboutir dans la majorité des cas à la
névrose de l'adulte***.
(***) Rappelons que selon la conception psychanalytique, l'état névrotique à l'âge adulte
correspond à une évolution "normale" mais qui peut donner lieu, dans certaines conditions,
à un comportement pathologique.
Quelques mots enfin sur la formation de l'état-limite avant de passer au
mécanisme de constitution des symptômes psychiques qui nous occupent ici :
la fabulation mythomaniaque et le délire.
Nous avons dit plus haut que "l'état-limite" occupe une position intermédiaire
entre la psychose et la névrose. Selon Bergeret, le Moi de l'organisation-limite
passe au tout début de l'enfance par une évolution normale, identique à celle
du névrosé. Mais l'auteur formule l'hypothèse d'un traumatisme précoce qui
aboutirait à une désorganisation du Moi. Par exemple, ce traumatisme pourrait
être une tentative de séduction sexuelle quelconque d'un adulte envers
l'enfant.
D'où une évolution figée qui empêche l'accession de l'Oedipe et aboutit à un
état d'immaturité affective, de dépendance très forte à l'autre. L'angoisse est
dite ici "de perte d'objet" ( l'objet d'amour ) et de dépression.
Ces trois grands modes d'organisation psychique étant fixés dans leurs
grandes lignes, abordons à présent de façon schématique quelques
mécanismes de formation du symptôme.
2.1. QUELQUES MECANISMES DE FORMATION DU SYMPTOME
Les divers types d'angoisse évoqués plus haut ( de castration pour le névrosé,
de perte d'objet pour l'organisation-limite, de morcellement pour !e
psychotique ), impliquent pour le sujet un mode de réaction approprié, dans le
but, vital pour lui, de diminuer le caractère insupportable de l'angoisse.
Les moyens d'y réagir constituent ce qu'on appelle les mécanismes de
défense, opération automatique et inconsciente. Ces défenses, utilisées de
façon permanente et banale, n'apparaissent pathologiques que lorsqu'il y a
conflit aigu entre les diverses instances* de la personnalité psychique, ou
entre certaines d'entre elles et la réalité.
(*) instances : sous-structures de l'appareil psychique ; ex. : le Surmoi, le Moi, l'Idéal du
Moi, le Ça.
Pour les organisations névrotiques, le mécanisme de défense le plus
important est le refoulement, c'est-à-dire ( Bergeret 1976 ) "un processus actif
destiné à conserver hors de la conscience les représentations inacceptables",
interdites par le Surmoi.
Mais le refoulement n'est pas d'une efficacité totale, et ne peut empêcher que
les représentations refoulées dans l'inconscient s'y organisent et produisent
de nouveaux éléments qui tentent de se manifester au niveau conscient dans
un "retour du refoulé"**.
(**) Le "refoulé" désigne le contenu des représentations inacceptables.
A côté de l'émergence banale du refoulé à travers les rêves, lapsus et actes
manqués, celui-ci se manifeste sur un mode particulièrement pathologique, et
dans un sens propre à chaque organisation pathologique, pour constituer le
symptôme qui peut se présenter sous la forme d'une fabulation.
2.2. FABULATION MYTHOMANIAQUE ET DELIRE
2.2.1. La fabulation mythomaniaque
L'exemple suivant emprunté à la psychanalyste H. Deutsch ( cité par Meyer
1970 ) illustre le mécanisme de formation d'une fabulation.
"Il s'agit d'une patiente* qui entre 13 et 17 ans a vécu un roman d'amour
imaginaire avec un jeune homme de 13 ans, qu'elle rencontrait réellement de
temps à autre. Elle lui écrivait régulièrement des lettres qu'elle n'envoyait pas
et s'envoyait à elle-même, des lettres qu'elle écrivait au nom du jeune homme.
Elle se faisait également adresser des fleurs de sa part, et parlait de cette
aventure à tout le monde comme si elle était réelle.
(*) en cure analytique.
Cette patiente se rappelle au cours de la cure d'un essai de séduction
sexuelle par son frère aîné, alors qu'elle n'avait que 5 ans environ. Son frère
abandonna par la suite cette activité sexuelle et la maltraita, ce qu'elle
acceptait, soumise. Son enfance fut empreinte de cette histoire et elle oscilla
entre le père, tendrement aimé et ce frère agressif qui l'attira vers lui.
Plus tard, c'est au moment où son frère quitta la maison pour l'Université, que
la patiente commença à fabuler".
L'explication donnée par H. Deutsch est la suivante :
"Sous la poussée de la puberté, la fillette doit trouver un nouvel objet pour sa
libido** fixée à son frère. L'histoire vécue avec son frère est alors
consciemment oubliée et refoulée dans l'inconscient.
(**) libido : énergie sexuelle.
Par ailleurs, cette réalité était interdite, ce qui pousse actuellement la fillette à
éviter toute rencontre réelle, ceci, permettant de respecter l'interdit. Pour le
retour du refoulé, la représentation fut transférée sur un nouvel objet permis,
pour que le contenu de l'affect*** se satisfasse.
(***) affect : tout état affectif.
Mais l'affect semble entièrement lié à l'objet de remplacement, c'est pourquoi
le rapport non résolu à l'ancien objet continue dans la fabulation. De plus, tous
les rapports de la patiente sont empreints de masochisme venant de sa
rencontre avec son frère.
L'analyse de ce cas montre ici que l'histoire actuelle de la mythomanie de ce
sujet correspond au revécu de ce qui fut vécu autrefois, mais transféré sur des
personnages différents".
Nous avons vu dans cet exemple le rôle déterminant joué par le traumatisme
subi par la patiente dans son enfance et sa lutte contre l'angoisse de perte
d'objet. D'autre part, une perturbation profonde des processus d'identification
conduit un sujet à être constamment à la recherche d'une identification, qu'il
ne trouve que dans les identifications héroïques, valorisantes.
Le contact avec la réalité subit alors une distorsion d'où une absence
d'auto-critique. De plus, le sens de la temporalité se trouve lui aussi distordu :
dans ce cas, le passé n'a plus de poids pour le sujet qui fabule et invente sans
cesse une nouvelle histoire. Cette histoire est une tentative pour conformer le
Moi du fabulateur à l'objet idéal de son désir.
Le recours à la fable ( à laquelle il adhère totalement ), est indispensable au
sujet, qui se valorise par rapport à son encourage, puisqu'il lui présente une
image propre à le séduire.
La fabulation est même liée à une stratégie qui vise à fournir des preuves de
la véracité de la fable, et peut emporter l'adhésion de l'entourage.
Par exemple ( cité par Neyraut 1962 ), "tel malade, pendant une année entière,
raconte à sa femme et à ses amis qu'il est pilote d'avion alors qu'il est sans
emploi, sort chaque matin à heures régulières pour se rendre à son travail
imaginaire et emprunte, à d'autres amis, l'argent nécessaire pour justifier
l'accroissement de salaire qui s'attache à cet emploi. L'important, pour lui, est
de saisir l'instant du possible ; s'inscrivant à un cours de pilotage, il voit le
chemin à suivre, mais saute dans l'avenir.
Il pose par l'imaginaire le résultat comme acquis. Seul ce résultat final compte.
Il devient alors, par cette magie, le personnage que son désir inconscient
propose à l'image du réel. D'ailleurs, un mixage peut toujours survenir et c'est
ce miracle qu'il attend à chaque seconde".
Mais la fabulation prend aussi son auteur à son propre piège, d'autant plus
qu'elle comporte des incohérences, comme dans le cas ( cité par Meyer 1970 )
de l'homme qui :
"annonce par correspondance, son décès à ses parent, puis part les chercher
à la gare et ne découvre qu'à la dernière minute que sa conduite ne cadre pas
avec le rôle de défunt".
A l'opposé de l'escroquerie consciente ( où l'escroc possède un maître ou des
complices ) la fabulation n'apporte qu'un bénéfice imaginaire à son auteur ; le
contenu de la fabulation est adapté à tel ou tel type de relation entretenue
avec l'autre.
Notons enfin, avec Minskowski, que l'imagination mythomaniaque est plutôt
pauvre, s'inspirant la plupart du temps de faits divers lus ou entendus.
2.2.2. LE DELIRE
Il nous reste à aborder, à présent, les conditions de formation du deuxième
symptôme envisagé ici : le délire.
En prenant pour point de départ, l'angoisse de morcellement évoquée plus
haut, et si on se souvient de la nécessité d'y faire face pour le sujet qui en
souffre, on retrouve un autre mode de mécanisme de défense lié au conflit
prédominant qui se joue entre le sujet et la réalité.
Par crainte d'un impact trop violent de la part de la réalité, ou par crainte, au
contraire, de la perte du contact avec celle-ci, ce qui provoque l'angoisse de
morcellement de son être, le sujet s'en défend autant que possible sur un
mode névrotique.
Quand ce mode est insuffisant par suite de l'intensité particulière du conflit,
des défenses propres au système psychotique se mettent en place, comme
une tentative pour reconstituer l'état fusionnel primitif, en circuit fermé
( l'autisme )*.
(*) Autisme : attitude mentale... caractérisée par le repliement sur soi-même, un mode de
pensée désinséré du réel, une prédominance de la vie intérieure ( Henri Piéron "Vocabulaire
de la Psychologie", PUF, p. 42 )
Il se produit également un refus inconscient de reconnaître la réalité d'une
perception traumatisante pour le sujet. La réalité peut être niée totalement ou
en partie seulement, et peut nécessiter la reconstruction d'une nouvelle
réalité, davantage supportable pour lui, d'où la production d'un délire, avec
son caractère de confusion entre le monde extérieur et le monde intérieur du
sujet.
C'est en particulier par un mécanisme de projection dans le milieu extérieur à
lui, que le délirant luttera contre une représentation "mauvaise" car
dangereuse pour son équilibre interne.
C'est le cas, par exemple, dans le délire de persécution où l'agressivité du
sujet est rapportée aux autres.
Dans son délire, le sujet peut affirmer entendre des voix dans sa tête qui lui
dictent sa conduite, se sentir surveillé et menacé par des personnages
monstrueux ou diaboliques, où être en possession, par des moyens
magiques, d'un savoir fabuleux qu'il doit répandre autour de lui, aidé par des
créatures divines, qui le programment.
Fermement convaincu des thèmes qu'il développe, assenant à son entourage
toutes les certitudes qui l'habitent, le délirant risque d'être d'autant plus
agressif si son interlocuteur s'oppose trop vigoureusement à ses récits, à ses
interprétations. Ces récits peuvent être nourris d'une grande richesse
imaginative plus qu'interprétative et développer des thèmes de
bouleversement cosmologique sans référence à la logique formelle et
rationnelle du discours, d'où, pour l'observateur, la possibilité de relever la
coexistence de contradictions internes dans les récits exprimés.
Voici, par exemple, le cas d'un délire fantastique ( encore appelé
paraphrénique par certains auteurs - Ey 1974 ) cité par Poinso et Gori ( 1972 ) :
|
"ll s'agit d'un homme d'environ 30 ans, vendeur de stylo-bille à la Louvette (...).
Il va raconter au médecin, sans passion, mais avec plaisir, qu'il descend des
premiers hommes dont il a conservé le privilège de voir les trésors à travers le
sol.
(Selon lui), sous la terre habite un peuple de pygmées dont il est le chef, et à
qui il donne des ordres par télépathie. Mal heureusement, les couloirs sont trop
petits pour sa taille. Il suffit qu'il frappe dans ses mains pour que ses sujets lui
ap portent ce qu'il veut. Il décrit un univers fabuleux dont il a tracé la carte en
quadrichromie .... ( avec ) un langage particulièrement riche en joyaux de toute
sorte ( il définira la langue des sous-sols comme un langage "dépolarisé" ).
A la demande réitéré de manifester son pouvoir, il dit que l'influence des murs
est maléfique (…), que c'est l'incrédulité de son interlocuteur qui est
"mauvaise"" |
Tout lecteur de production ufologique ( ouvrages ou revues ) rencontre un
certain nombre de thèmes qui associent, dans une relation de cause à effet,
l'existence possible d'autres formes de vie sur des planètes de l'univers, à la
présence des phénomènes aérospatiaux non identifiés : les OVNI sont
compris alors comme des véhicules spatiaux pilotés par des entités
extraterrestres d'une civilisation supérieure à la nôtre.
Ce qui est actuellement de l'ordre d'une spéculation qui active les ressources
imaginaires de leurs auteurs est fréquemment donné à entendre comme des
certitudes ( objet de croyance ) avec parfois des "preuves" à l'appui.
(Rappelons ici les méthodes d'enquête qui utilisent une certaine forme
d'hypnose).
Les visites des extraterrestres sur notre planète sont souvent attribuées à la
mise en place d'une vaste programmation de leur part, qui a pour but une
surveillance étroite de la Terre, un contrôle des activités des Terriens, à cause
des risques de pollution, d'anéantissement atomique, des 1er pas hors de
notre espace planétaire, etc...
On sait d'autre part, que ces thèmes largement diffusés par les media
imprègnent le contexte psychosocial actuel et constituent déjà un véritable
mythe.
Le sujet qui, pour les raisons évoquées plus haut, éprouve un besoin
irrésistible, vital pour lui, de fabuler ou de délirer, a donc la possibilité
"d'alimenter" sa fable ou son délire en puisant dans certains thèmes courants
de l'ufologie.
Cherchant à convaincre son entourage proche ou lointain de ses certitudes, il
peut aller jusqu'à écrire à des organismes de recherche pour demander leur
caution officielle, de façon à se conforter dans ses convictions.
3.1. CERTAINES LETTRES RECUES AU GEPAN
C'est ce qui permet d'expliquer l'envoi au GEPAN par un certain nombre de
sujets, de lettres dont le contenu rappelle les symptômes d'un délire
fantastique, dans la mesure où ces sujets ne cherchent pas à apporter des
preuves de leurs assertions ni ne proposent quoi que ce soit de précis
( discussions, recherches, ... ).
Nous allons ci-dessous en citer quelques exemples :
-
1er exemple :
Après avoir décrit son observation d'un OVNI ( un disque siffleur ),
l'auteur consacre l'essentiel de sa lettre à son interprétation personnelle
de l'observation, dans une surabondance de vocabulaire
pseudo-technique mêlée d'allusions à des phénomènes magiques et
ésotériques, avec à l'appui des schémas commentés de soucoupe
volante ( semblables au croquis de la soucoupe d'Adamski ) et de disque
volant. Adhérant pleinement à ses explications ( "ces engins ne sont
autres que (...) des tables tournantes artificielles géantes à médium
lévitant incorporé ( sic )" ), il parle aussi de "créatures éthériques, donc
extraterrestres" et dit en avoir vu une "énorme et terrifiante".
-
2ème exemple :
Un autre auteur expose dans plusieurs longues lettres ses révélations
( obtenues par la pratique de la radiesthésie ). Il a répertorié une
quarantaine de planètes avec des êtres humains ( dont certains nous
rendent visite ), et présente une liste de planètes avec beaucoup de
détails : leur diamètre, la distance qui les sépare, les races qui les
habitent, la position des engins par rapport à la terre. Il a ( entre autre ) "la
conviction que -telle- planète se livre à du tourisme".
3ème exemple
Un troisième auteur exprime d'abord la peur qu'il a éprouvé après une
situation étrange qu'il dit avoir vécu. Il parle en effet d'une rencontre
avec des êtres extraterrestres ( mais sans observation de "soucoupe" )
qui lui tiennent un discours moralisateur sur l'état actuel de l'humanité.
Ces êtres surveillent nos usines d'armement et nos centrales nucléaires
pour nous empêcher de commettre des catastrophes. L'auteur de cette
lettre est chargé par ces êtres de transmettre ces informations aux
responsables de notre planète en leur demandant des audiences. Les
extraterrestres l'invitent à venir avec eux, mais le sujet refuse. Nous
apprendrons par la suite que l'auteur de cette lettre prétendra avoir de
nouveau rencontré les extraterrestres qui lui ont reproché, entre autre,
de n'avoir pas entièrement suivi leurs conseils.
-
4ème exemple :
Ajoutons que le GEPAN reçoit également de temps en temps des
appels téléphoniques dont le contenu est proche de celui des lettres
évoquées ici. Citons simplement le cas d'un sujet qui parle de la
surveillance permanente exercée sur sa conduite par des OVNI aux
intentions belliqueuses. Ceux-ci le font en effet souffrir en agissant sur
son cerveau par des ondes, des vibrations particulières.
Nous retrouvons avec ces quelques exemples, des éléments similaires à ceux
évoqués plus haut à propos du délire. Remarquons la place prépondérante
occupée par les explications et interprétations des sujets, par rapport aux
maigres informations obtenues sur une éventuelle observation d'OVNI de leur
part.
Le thème OVNI/extraterrestre semble seulement un prétexte à un étalage de
savoir extraordinaire, expression d'une forte conviction des auteurs dans leurs
propos que l'on peut qualifier de révélations à caractère fantastique. Les
sujets se placent dans une position valorisante : ils ont des connaissances
extraordinaires, ils sont "choisis" par les extraterrestres pour être leur
porte-parole ou leur souffre-douleur ( exemples 3 et 4 ).
L'on peut reconnaître ici la présence du sentiment de persécution ainsi que le
mécanisme de projection, quand le sujet se sent menacé ou surveillé par les
extraterrestres. C'est avant tout cet aspect là qu'il leur importe d'exprimer.
Par ailleurs, notons l'insistance de ces auteurs à nous communiquer leurs
connaissances ( le dossier du cas n° 2 est épais ), mais sans trace, dans les
exemples cités, d'ouverture au dialogue.
Si l'on se souvient d'autre part que la force de conviction du délirant est
absolument nécessaire au maintien de son mécanisme de défense, on
comprend mieux pourquoi les informations qu'il nous apporte sont aussi
difficilement vérifiables.
Chaque fois, les éléments susceptibles d'être vérifiés sont rares ou totalement
inexistants : conditions d'observation, absence de traces quand il y a mention
de rencontres rapprochées ( cf. l'exemple n° 3 ).
3.2. QUELQUES MOTS SUR LE CAS D'UN "ENLEVEMENT PAR UN OVNI"
(cf. enquête 79/07).
On peut remarquer que l'examen des discours des témoins ( Nestor, Ernest et
Albert ) ainsi que ceux du GU1 ( principal groupe ufologique privé qui
s'intéressa de près à ce cas ), fait apparaître des éléments intéressants pour
notre propos ( voir enquête 79/07 et complément d'informations ).
Nous constatons en effet une analogie entre le discours de ces témoins et le
discours délirant, fabulatoire, tel qu'il a été exposé plus haut. Nous retrouvons
un processus de valorisation des témoins au sein des thèmes de
"programmation", de "choix par des créatures extraterrestres", etc... l'angoisse
de persécution ( réaction vis-à-vis des organismes officiels ) et un processus de
distorsion de la réalité. La fuite de cette réalité se traduit par l'apport de
pseudo-preuves : cf. les photos vagues et inauthentifiables, les analyses de
sang*, les thèmes des choux soi-disant "irradiés", les MIB, les autres
dimensions, etc...**
(*) dont la non-publication "prouverait" le caractère révélateur et sensationnel alors que les
témoins savent pertinemment qu'il n'en est rien.
(**) Les exemples allant dans ce sens surabondent et ne sauraient être tous cités ici.
Nombre d'entre eux se trouvent déjà dans "Enquête 79/07" et dans "Complément
d'informations". Beaucoup d'autres apparaissent dans les articles de presse consacrés à
leurs aventures, à partir de décembre 1979, par exemple, où Ernest donne comme
exemple de persécution le fait qu'on leur reproche de conduire sans permis, le fait que
Nestor doive faire son service militaire ( il sera finalement exempté ), etc...
Mais, on peut se demander si le constat de cette analogie est suffisant pour
conclure que le délire et la fabulation sont bien à la source de ces discours, et
que ceux-ci résultent de structures psychiques du type de celles qui ont été
décrites.
Sans doute pas ; l'analogie constatée n'est qu'un indice, l'indice d'un
symptôme, un indicateur qui désigne une piste. Pour aller plus loin, il faudrait :
étudier de près les relations comportementales des témoins avec leurs
entourages proches et lointains pour y déceler l'éventuelle expression
d'un besoin inconscient chez eux,
étudier de près le passé des témoins pour vérifier éventuellement
l'hypothèse de Bergeret, c'est-à-dire un événement majeur survenu dans
leur enfance et ayant conduit à une telle structure psychique.
Mais le deuxième point nécessiterait une "analyse" ( psychanalytique ) qui ne
peut s'envisager qu'à l'initiative des sujets et avec leur collaboration active.
Inutile de s'étendre sur le fait que les témoins, après avoir monnayé leurs
"révélations" sont à cent lieux d'une telle idée. Mais bien qu'une telle analyse
n'a pas été et ne sera pas faite, il y a cependant au sujet d'Ernest quelques
indices qui tendent à renforcer la valeur de l'analogie évoquée ci-dessus.
Mentionnons simplement son discours à propos de son service militaire
( Ernest s'invente un personnage valorisant de soldat qui a dû payer durement
son caractère d'insoumis à la discipline ), et le fait qu'Ernest soit connu comme
un auteur de canulars ( cf. sa vie de lycéen et son canular quand il participait à
une maison des jeunes ).
En ce qui concerne le premier point ( comportement du témoin par rapport à
l'entourage ), précisons que le GEPAN n'a pas pour fonction prioritaire de
développer la recherche dans cette voie.
On peut cependant noter qu'un mois après le début de leur "aventure" se
produit une évolution dans le comportement des témoins. On assiste en effet
à une "relance" de l'affaire par la production de photos, l'appel à Ignace ( qui
conduit quelques jours plus tard, à la rédaction d'un livre ), l'émergence d'un
nouveau discours centré cette fois-ci sur Ernest.
Ce dernier effectue une tournée de conférences, constitue une secte (avec
production de revues) etc...
On peut dire qu'il utilise à son avantage les conditions de la situation, la
brèche dans laquelle il va s'engouffrer cour valoriser son Moi en développant
un discours para-religieux et pseudo-humaniste, ouvertement inspiré de celui
de Siragusa, un contacté italien condamné pour violence charnelle et
extorsion de fonds.
Nous avons présenté dans la première partie de cette étude rapide un modèle
de psychopathologie d'inspiration psychanalytique, essayant par là de fournir
au lecteur des éléments propres à une compréhension des processus de base
qui sous-tendent, chez un sujet, un besoin de fabulation ou de délire ( pour
plus d'informations, voir par exemple la bibliographie ).
Il nous a alors semblé nécessaire de replacer la constitution de ces
symptômes par rapport aux principales organisations de base de la
personnalité, en fonction des mécanismes de défense qui les constituent, et
en liaison avec le vécu infantile du sujet.
Le contenu du modèle présente, à notre sens, une cohérence interne mise à
part une critique que nous formulons à propos de l'explication d'une
émergence probable du symptôme de la fabulation, liée à la répétition d'un
traumatisme infantile : même si l'exemple cité au § 2.2.1. accrédite cette
explication, celle-ci nous parait seulement présenter une valeur relative, et
n'en restera qu'au stade d'une hypothèse.
Puis, la prise en compte de la relation entre fabulation et délire d'une part, et
certains thèmes ufologiques d'autre part, montrent que ce sont d'abord les
thèmes aidant à une valorisation du sujet, ou alimentant une angoisse de
persécution qui sont retenus par les auteurs de certaines lettres reçues au
GEPAN.
Le besoin, pour les auteurs de ces lettres, de posséder un solide mécanisme
de défense les conduit, paradoxalement, à ne présenter que des données
invérifiables. La distorsion existant dans leur psychisme entre eux-mêmes et
la réalité, les conduit à se placer seulement sur le registre de la conviction à
l'état pur, c'est-à-dire de la croyance.
D'autre part, nous avons vu dans le cas d'un individu "enlevé" par un OVNI,
que l'aspect fantastique de certains discours peut prendre les proportions
d'une "affaire publique" et recueillir une certaine audience, alors même que les
symptômes pré-cités s'y retrouvent : valorisation du Moi, angoisse de
persécution, fuite de la réalité, etc...
Agrandissant la simple question de la formation de la fabulation et du délire, le
"choix" de tel ou tel thème par le fabulateur ou le délirant fait également
intervenir l'influence du contexte psychosocial, culturel. Les exemples cités
permettent ainsi d'approcher la dimension "mythique" du problème des
"OVNI".
Cette étude se limite aux données présentées ici, et nous ne pouvons pour
l'instant préjuger de la nature de tous les cas connus de "rencontre
rapprochée". Seul un examen détaillé de ces cas pourrait apporter des
éclaircissements à leur sujet.
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