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CENTRE NATIONAL D'ETUDES SPATIALES
Groupe d'Etudes des Phénomènes Aérospatiaux Non-identifiés
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Toulouse, le 14 décembre 1981 N° 0294 CT/GEPAN
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NOTE TECHNIQUE N° 10
LES PHENOMENES AÉROSPATIAUX
NON-IDENTIFIES
ET LA PSYCHOLOGIE DE LA PERCEPTION
Introduction
Avant-propos
CHAPITRE 1- DIFFÉRENTES PERCEPTIONS DE LA PERCEPTION
- - Les postulats des théories de la perception
- - Les modèles s'inspirant des données psychophysiologiques
- - Les modèles s'inspirant de la psychophysique
- - Deux approches particulières
- - Les modèles dialectiques : la Gestalt-théorie
- - Les modèles dialectiques : J. PIAGET
- - Les modèles dialectiques : Le New Look
- - Les modèles dialectiques : J.S. BRUNER
- - Récapitulation
CHAPITRE 2 - PERCEPTION ET TEMOIGNAGES
- - Introduction
- - Elaboration d'un modèle d'analyse des témoignages de PAN
- - Analyse des témoignages de PAN
- - Exemple
CHAPITRE 3 - VERS DES DONNÉES EXPERIMENTALES
- - Introduction
- - Choix méthodologiques
- - Expérience A
- - Expérience B
- - Expérience C
- - Expérience D
- - Expérience E
- - Expérience F
- - Discussion générale
ANNEXES
CONCLUSIONS
BIBLIOGRAPHIE
1. - INTRODUCTION
La fonction même de la perception, processus adaptatif et représentatif, nécessite d'être
accompagnée d'un système de stockage lui permettant de profiter des expériences
passées.
En dehors des caractéristiques spécifiques de ce système de stockage, il est sensé de
considérer qu'il doit être régi par des lois analogues à celles du processus perceptif. Ainsi,
on peut penser que les transformations mises en jeu par la perception se perpétuent au-delà
du processus perceptif. Plus généralement, les quatre fonctions successives et
complémentaires de perception, stockage, remémorisation et témoignage seraient
soumises aux jeux des lois de la perception.
Grâce à cette extension on peut trouver deux grands terrains de confrontation entre les
études de la perception et celles du témoignage.
1.1. - ETUDES GÉNÉRALES
Les recherches de la psychophysique et de la Gestalt-théorie font apparaître plusieurs lois
générales bien établies dans les limites expresses de leur domaine d'application ( en
particulier pour ce qui concerne la signification du stimulus ).
Cependant, ces limites sont pour la plupart inséparables de l'artificialité du laboratoire ( dans
la réalité aucun stimulus n'est totalement exempt de signification pour le sujet ), et les lois
ainsi obtenues sont difficilement généralisables aux situations vécues sur le terrain. Cette
difficulté peut être partiellement contournée en interrogeant d'une manière active, ces lois
dans des simulations plus ou moins fidèles, mais aussi plus ou moins incontrôlées, des
situations vécues.
Pour le problème qui nous occupe, les résultats obtenus expérimentalement pourront être
confrontés aux cas de phénomènes identifiés a posteriori ( cas d'observation à témoins
multiples, par exemple ).
La démarche utilise alors la méthode "invoquée", qui consiste à analyser les données d'un
événement réel antérieur en fonction d'hypothèses particulières. Bien entendu, ces
hypothèses doivent être introduites avant de connaître les résultats de l'analyse.
Il est très probable et sera parfois évident, que l'étude de ces lois fera apparaître, sous
certaines conditions, des extensions possibles de leur domaine d'application à la perception
des PAN ( 1 ).
(1) PAN : Phénomènes Aérospatiaux Non-identifiés.
Ainsi certaines caractéristiques du témoignage, considérées jusqu'alors comme
indépendantes, devront être dorénavant étudiées en interrelation ; parfois des
caractéristiques nouvelles devront être recueillies au moment de l'enquête : les méthodes de
recueils et de traitements des données devront être modifiées, affinées, adaptées.
Par exemple, une forme apparente projective ( donc à deux dimensions ) d'ellipse peut
suggérer au sujet une forme apparente à trois dimensions ronde ( sphère ou disque ), en
raison de la "bonne forme" ronde mise en évidence par la Gestalt-théorie.
Parfois, le codage appliqué aux témoignages de PAN ( par exemple DUVAL, 1979, ( 1 ) ) ne
permet pas de distinguer cette configuration de celle où le témoin ferait état d'une forme
projective apparente à deux dimensions effectivement ronde.
Il faut rappeler néanmoins que ces lois, même accompagnées de leurs limites d'application,
sont toujours des lois générales, c'est-à-dire des lois probabilistes avec des marges
d'erreurs parfois difficiles à cerner. Ainsi, ces lois générales trouvent un champ
d'applications privilégié dans les études statistiques.
La suite naturelle de cette assertion est qu'il sera toujours très hasardeux d'appliquer une loi
générale à un cas particulier précis, sauf si cette application est nuancée par une étude
spécifique qui tient compte de la particularité du cas.
(1) Le GEPAN a toujours été conscient du caractère provisoire des "variables intrinsèques qualitatives" ( cf. par
exemple, ROSPARS, 1979 ).
1.2. - ÉTUDES DE CAS
Le deuxième terrain de rencontre des études de la perception et du témoignage est bien
celui de l'étude de cas. La psychologie de la perception montre que celle-ci est, en tout état
de cause, un phénomène fondamentalement individuel. La perception puis la
remémorisation d'une situation ne sont qu'un maillon dans la chaîne des relations que
l'individu entretient avec son environnement tant physique qu'humain.
Nous avons déjà signalé que le percept est une représentation individuelle liée aussi bien à
la situation réelle qu'aux attentes et aux processus suivis pour créer cette représentation.
Au plan de la fidélité d'un témoignage, ce fait a une valeur restrictive et probabiliste.
Restrictive parce que, faut-il le rappeler ?, la fonction de la perception n'est pas le
stockage d'une copie fidèle du réel. L'information issue d'un témoignage n'est, dans le
meilleur des cas, que la représentation construite par le sujet au cours de son
processus perceptif.
L'étude du témoignage doit s'effectuer sur cette représentation et sur les données
permettant de cerner le processus dont elle est l'aboutissement.
Probabiliste, parce que cette étude ne peut déboucher que sur des hypothèses, plus
ou moins fortes, sur ce qu'était la situation réelle rapportée par le témoin. Rien ne
permet d'accéder avec une certitude absolue à cette situation réelle. Mais l'étude du
témoignage peut permettre de pondérer chaque élément rapporté en fonction de la
probabilité qu'il soit le fruit des particularités de la perception d'un individu donné à un
instant donné.
Les conclusions du chapitre précédent indiquent les données pertinentes pour procéder à
cette étude.
La collecte doit essayer de reconnaître quelles étaient les attentes perceptives du
témoin avant sa confrontation aux événements rapportes. Il est utile de reconnaître,
dans ces attentes, celles qui émanent d'un vécu affectif, de celles qui correspondent à
une expérience cognitive ( échelle cognito-affective de la théorie de BRUNER, voir
plus haut ).
La perception est un processus qui se développe dans le temps, même si parfois il
est très rapide et inconscient. Il est donc opportun d'essayer d'approcher le
développement du processus singulier qui a produit les éléments d'information
rapportés.
La représentation perceptive émane autant de la perception de quelque chose, que
de la perception pour quelque chose. L'utilisation de cette représentation par le
témoin peut faciliter l'analyse du processus, au même titre que les attentes qui le
précèdent.
Les cas limites sont certainement des exemples d'école, mais ils sont aussi les
bornes à l'intérieur desquelles chaque élément se situe avec une probabilité plus ou
moins forte. A un extrême, un événement non attendu peut s'imposer par son origi-
nalité ; sa description sera alors probablement très proche du réel. A l'autre, des
attentes très fortes peuvent s'imposer sur une configuration anodine dans un pro-
cessus pouvant être qualifié d'hallucinatoire ( 1 ).
C'est dans cette approche particulière de chaque cas que s'inscrivent les
enseignements tirés des études générales. Elles acquièrent dès lors un caractère
moins probabiliste, dans la mesure où il a été effectivement possible d'explorer au
moins partiellement les processus perceptifs et de mémorisation mis en jeu pendant
et après les événements rapportés, dans le cas étudie.
(1) Sans aucune considération psychopathologique.
Les méthodes de collecte et d'analyse de ces données devront certainement être affinées
grâce à des démarches semblables à celles signalées pour les études générales.
Cependant, l'expérience passée permet déjà de présenter des méthodes opérationnelles,
même si leur caractère provisoire reste indéniable.
La démarche ainsi suivie met l'accent sur l'interaction constante et progressive entre les
champs théorique, expérimental et appliqué.
Dans le chapitre 1, nous avons fait le tour du champ théorique de la perception ; dans le
chapitre 3 nous exposerons une série d'expériences qui étayent, au niveau du laboratoire
l'application de ce champ théorique au domaine particulier du témoignage de PAN. C'est
cette application pratique que nous allons exposer dans les pages qui suivent, en proposant
un modèle et une démarche pratique d'analyse.
2. – ELABORATION D'UN MODELE D'ANALYSE DES
TEMOIGNAGES DE PAN
2.1. - LES PARTICULARITÉS DU TEMOIGNAGE DE PAN
Lorsqu'on franchit le pas entre la théorie et la pratique, l'acte de proposer un modèle ne doit
pas être un simple exercice de style. Il doit répondre aux particularités du sujet abordé et à
celle de l'application souhaitée pour les résultats.
Dans le domaine du témoignage de PAN, la plupart de ces particularités sont connues
témoignages parfois multiples, diversité des discours d'un même témoin... Nous y
reviendrons.
D'autres particularités méritent par contre une rapide réflexion. La première est celle du but
de l'étude de ces témoignages au sein des enquêtes du GEPAN.
Le but de l'étude des témoignages recueillis lors d'une enquête est d'apporter des éléments
susceptibles d'être intégrés dans l'analyse physique du phénomène. Cela s'accompagne de
deux remarques :
Les données concernant la perception humaine ne permettent de développer
aucune analyse susceptible de reproduire l'événement qui est à l'origine d'un témoi-
gnage. Nous venons de le rappeler dans l'introduction du présent chapitre. Le but de
l'étude des témoignages ne peut donc pas être d'apporter une quelconque caution à
la réalité physique d'une observation donnée.
A ce propos, nous avons discuté au premier chapitre la non-opérationnalité des
méthodes hypnotiques en tant que garantes de la réalité physique se trouvant à
l'origine d'un témoignage. Cela avait été déjà fait récemment à propos d'un exemple
concret ( cf. AUDRERIE, 1981 ).
De la même façon, nous nous sommes prononcés contre l'intérêt d'étudier des
concepts idéologiques, tels que la moralité ou la sincérité ( cf. ESTERLE et al, 1981 ).
La validité des éléments rapportés par un témoin est toujours probabiliste du fait
même qu'il s'agit de perception humaine. L'étude des témoignages doit alors, pour
répondre à son but, essayer de cerner la probabilité de fidélité des éléments relatés.
Ainsi l'apport aux études physiques se fera sous forme d'hypothèses de travail, plus
ou moins probables, sur ce qu'a pu être le phénomène observé par le témoin.
Nous venons de signaler ( cf. pages précédentes ), en parlant de l'étude du témoignage en
général les données permettant d'estimer la probabilité de l'intervention de la subjectivité du
témoin dans la description de telle ou telle caractéristique du phénomène observé.
Une étape importante, dans la réflexion sur l'analyse d'un type de témoignage particulier, est
de décider quelles sont les attentes ( les cadres de référence ) qui correspondent à une
représentation fidèle des probabilités des événements à venir, et quelles sont celles qui
émanent d'une représentation inadéquate : attentes Intrinsèques ( ce qu'il désire ou ce qu'il
craint ), croyances.
Cette étape est capitale : tout porte à penser ( voir I.8.2. ) que plus les attentes d'une classe
d'événements sont fortes, plus le sujet percevra facilement ces événements,
indépendamment de leur existence réelle.
Or, la relation entre l'existence réelle de l'événement perçu et les attentes de cet événement
dépend de l'adéquation entre les probabilités subjectives d'apparition de l'événement et les
probabilités réelles. Un triple exemple aidera à mieux comprendre cette assertion :
les lapins perçus par le chasseur cité plus haut seront plus probablement de vrais
lapins s'ils se trouvent dans un champ où les lapins abondent ;
cette probabilité sera plus faible pour les renards perçus par un chasseur de renards
ne sachant pas que ces derniers sont en voie de disparition ;
cette probabilité sera nulle pour les "dahus" perçus par un chasseur ( de dahus ) ne
sachant pas que le "dahu" n'est qu'un mythe.
2.2. RÉCAPITULATION
En résumé, la réflexion sur l'interprétation des attentes perceptives d'un témoin se réduit à la
question : est-ce que les probabilités réelles d'apparition de l'événement correspondent aux
probabilités subjectives du témoin ? Ou, de façon plus générale : est-ce que les
caractéristiques de l'événement correspondent aux caractéristiques de l'attente du témoin ?
Dans le domaine qui nous occupe, cette question est : est-ce que les caractéristiques des
PAN correspondent aux caractéristiques d'une éventuelle attente des PAN du témoin ?
Pour répondre à cette question, il faut connaître deux choses :
Le GEPAN est bien placé pour savoir qu'on ne connaît, à l'heure actuelle, que très peu de
caractéristiques réelles des PAN.
Quant à la question sur les caractéristiques d'une éventuelle attente des PAN du témoin, elle
nous renvoie directement à une réflexion générale sur le concept de PAN.
2.3. - QUELQUES CONSIDERATIONS SEMANTIQUES
Qu'est-ce qu'un PAN ( ou Phénomène Aérospatial Non-identifié ) ? On désigne sous le terme
de PAN les phénomènes fugitifs, généralement lumineux, qui se situent dans l'atmosphère ou
sur le sol et dont la nature n'est pas connue ou reconnue par les personnes qui les observent.
Le mot PAN recouvre donc la classe de phénomènes qui ne rentrent dans aucune des
classes de phénomènes connus par l'observateur. Il se définit négativement, par opposition
aux phénomènes connus. En utilisant le jargon linguistique cela revient à dire que le mot PAN
renvoie à un "sens" qui n'a pas de "référent". Le sens doit être compris comme la
représentation mentale de l'idée évoquée par le mot, le référent comme la classe des
phénomènes que le mot désigne ( 1 ). Par extension, on inclut dans le référent les
représentations matérielles de cette classe de phénomènes. Par exemple, l'auteur de ces
lignes n'a jamais vu la fusée "Ariane", mais il en a un référent constitue par les images
photographiques et télévisées de cet objet.
(1) Cf. MARTINET, 1961.
Une discussion, que nous ne continuerons pas ici, pourrait s'ouvrir sur la question de savoir
si une représentation matérielle d'un mythe constitue le référent du mythe, et non pas la
représentation du mythe : une photographie de la "Vénus de Milo" est-il un référent de la
statue du Louvre ou de la déesse Venus ? ( 2 ).
(2) Si le mythe des objets physiques est supérieur à la plupart des autres, d'un point de vue épistémologique,
c'est qu'il s'est avéré être un instrument plus efficace que les autres mythes pour insérer une structure
maniable dans le flux de l'expériences" ( QUINE, 1953 ).
Ainsi, PAN, tel qu'il a été défini plus haut n'a pas de référent, de la même manière par
exemple que "le vide".
Mais est-ce que, lorsque nous décelons au cours d'une enquête, des attentes des PAN chez
un témoin, celles-ci correspondent à ce qui vient d'être dit ?
Sans aucun doute, la réponse est négative, notre expérience nous montre que le PAN est,
pour beaucoup de témoins, une toute autre chose.
Signalons d'abord et pour éclairer le vocabulaire, que le témoin ayant des attentes nous
parle d'OVNI et non de PAN. Nous appellerons alors ces attentes et leurs caractéristiques :
"attentes d'OVNI, caractéristiques des attentes d'OVNI".
Or, est-ce que notre connaissance des attentes d'OVNI, et du mot OVNI en général, permet
d'appliquer à celui-ci les considérations faites sur le mot PAN ?
Nous venons de répondre par la négative. Le mot OVNI diffère principalement du mot PAN, il
nous semble, par le fait qu'il a un référent ( ou des référents ).
Le mot OVNI recouvre beaucoup de représentations physiques ( dessins, films d'animation,
maquettes, photographies... ) plus ou moins connues ou acceptées socialement. En parallèle,
la "vérité" de ces représentations, l'éventuelle relation entre ces représentations et un objet
physique, est plus ou moins connue ou acceptée. Mais est-ce qu'une photo d'OVNI a le
même statut qu'une photo d'Ariane, ou qu'un buste d'Ulysse, ou qu'un dessin de Superman ?
( 1 ).
(1) Nous venons de connaître un événement tragico-comique qui constitue une illustration du statut ambigu de
certains référents. Un nombre considérable d'enfants d'Austin USA ont dû suivre des traitements
psychothérapeutiques après une forte déception : lors de récentes inondations ces enfants attendaient, avec
beaucoup d'assurance que Superman vienne les secourir... ( Agence de presse EFE, août 1981 ).
En tous cas les représentations, matérielles accompagnées de leurs "vérités" relatives
constituent un tout indissociable du mot OVNI. Dans la société occidentale contemporaine,
les media, en amalgamant fiction et science, imagination et réalité, ont créé un référent qui a
couramment le statut d'une classe d'objets physiques ( 2 ).
(2) Des récents sondages d'opinion indiquent que 35 % des personnes interrogées croient aux Soucoupes
Volantes et aux OVNI ( CESA-CNES, 1980 ), 25 % expliquent la présence d'OVNI par des engins extraterrestres
( SOFRES, 1979 ), 28 % croient aux extraterrestres ( IFOP, 1979 ).
Il nous semble alors probable que dans beaucoup des cas où des informations sur le
phénomène OVNI sont actualisées, celles-ci concernent plus le sens et le référent d'OVNI
que le sens sans référent de PAN.
En tous cas, lorsque nous décelons chez un témoin des attentes d'OVNI, les caractéristiques
descriptives ( explicites ou implicites ) de ces attentes ne peuvent émaner que du référent
d'OVNI et non pas des PAN ( 1 ). Or, rien ne permet de penser que le PAN perçu par un
témoin ait quelque chance de se rapprocher des informations sur le phénomène OVNI.
(1) Faisons remarquer que, pour l'instant, nous ne pouvons pas avancer les caractéristiques descriptives du
référent OVNI. Est-ce qu'il est constitué par une représentation largement homogène et répandue dans la
population ? Autrement dit, est-ce qu'il est un stéréotype social ? Ou est-ce qu'il dépend profondément des
particularités de chaque sujet ? Seule une recherche approfondie pourra répondre à ces questions.
2.4. - HYPOTHESE
Cette assertion constitue le trait d'union entre les données générales de la psychologie de la
perception et le modèle que nous proposons pour l'analyse des témoignages de PAN.
Elle se cristallise dans une hypothèse générale : la probabilité que la subjectivité intervienne
dans un témoignage de PAN croît avec les attentes d'OVNI du témoin.
Sur le plan pratique, la démarche consistera à déceler dans le discours du témoin les
attentes ayant pu interférer avec la perception du PAN ; en particulier les attentes générales
( connaissances, croyances aux OVNI et celles spécifiques au moment de l'observation
interprétation immédiate, vécu sentimental ). Nous y reviendrons.
Dans le cas le plus complet, ces données permettront de pondérer chaque élément descriptif
rapporté par un témoin, par une probabilité d'intervention de la subjectivité. Nous appellerons
le résultat de cette analyse la "propension à la subjectivité".
2.5. - PRISE EN COMPTE DE QUELQUES PARTICULARITÉS DU TÉMOIGNAGE DE
PAN
Dans la plupart des cas d'observation de PAN, les enquêteurs du GEPAN ne sont pas les
premiers à discuter avec le témoin au sujet de son observation. Au contraire, dans l'énorme
majorité des cas, le témoin a déjà exposé plusieurs fois son observation
à des amis, enquêteurs de la gendarmerie, enquêteurs privés, autres témoins.
Deux situations nous intéressent particulièrement :
les discussions entre témoins d'un même phénomène,
les enquêtes effectuées selon des méthodes directives, c'est-à-dire en posant des
questions fermées, ne permettant qu'un éventail restreint de réponses.
Notre intérêt émane d'abord de notre expérience qui nous montre l'importance, dans un
témoignage, des "informations" apportées au témoin par son entourage, en particulier dans
les deux cas cités.
Cet intérêt se trouve accru par l'existence, en psychologie, d'un cadre théorique permettant
de comprendre l'effet des informations actualisées pour le témoin par son entourage ( à
différence de la théorie des attentes perceptives qui concerne les informations actualisées
par le témoin ).
Ce cadre théorique est celui des "processus d'influence" que nous présenterons brièvement.
2.6. LES PROCESSUS D'INFLUENCE
Dans le cadre du témoignage humain, une importance capitale doit être accordée aux
variations qui découlent des rapports entre le témoin et les personnes qui l'entourent.
Cette idée fut abordée, aux aurores de la psychologie scientifique, sous le nom de
"suggestibilité" ( BINET, 1900 ).
Avec la maîtrise de la méthode expérimentale apparut l'énorme complexité de ce type de
processus, appelés actuellement "d'influence".
"Les processus d'influence sociale sont relatifs aux modifications qu'entraîne dans les
jugements, opinions, attitudes d'un individu -ou d'un groupe-, le fait de prendre connaissance
des jugements, opinions et attitudes d'autres personnes sur le même sujet" ( MONTMOLLIN,
1976, page 3 ).
Cette définition récente fait le point de 30 ans de travaux dans ce domaine, en mettant
l'accent sur le caractère cognitif du processus, mais aussi sur l'aspect empirique,
observable, des données apportées par ces travaux.
Dans la présente note, nous nous limiterons à rappeler que, dans le domaine de la
perception, ces travaux montrent que la réponse perceptive d'un sujet peut dépendre de la
connaissance qu'il a de la réponse d'autrui. Dans la plupart des cas le révélateur de cette
dépendance est la convergence des réponses ainsi apportées.
Cela fut d'abord montré par SHERIFF ( 1935 ) en présentant un stimulus non structuré, en
l'occurrence un point lumineux qui semble se déplacer à l'intérieur d'un champ obscur. Le
déroulement de l'expérience prouvait que les sujets tendent à faire converger leurs réponses
concernant le déplacement apparent du point lumineux.
Plus tard ( SCHONBAR, 1945 ) retrouva le même résultat avec un point lumineux qui se
déplace réellement dans un champ de référence visible. Par la suite, beaucoup
d'expériences ont étudié le processus dans des conditions expérimentales très diverses.
Dans la plupart de ces expériences, la réponse d'autrui est fournie après la présentation du
stimulus. Cependant, quelques protocoles expérimentaux indiquent cette réponse au sujet
avant la présentation. On soutient ainsi, au niveau théorique, que l'influence s'exerce sur
l'hypothèse perceptive que le sujet élabore au sein même du processus perceptif
( FLAMENT, 1958 ).
De cette façon, la théorie des processus d'influence rejoint les modèles dialectiques de la
perception ( voir chapitre 1 ).
En outre, d'autres expériences récentes ( par exemple : LOFTUS, 1975 ) montrent que
l'influence peut avoir lieu au moment de la remémorisation, quand on introduit des
informations nouvelles à l'intérieur des questions qu'on pose au sujet. Les résultats montrent
que lorsque les questions présupposent un objet ou événement, la probabilité
que celui-ci soit rapporté par le sujet augmente, indépendamment du fait que cet objet ou
événement ait été vraiment observé par le sujet.
2.7. – HYPOTHESES
L'application des données de la théorie des processus d'influence au témoignage de PAN
permet d'élaborer deux nouvelles hypothèses générales :
La probabilité que la subjectivité intervienne dans un témoignage de PAN croît avec la
communication entre témoins sur le phénomène OVNI.
La probabilité que la subjectivité intervienne dans un témoignage de PAN croît avec la
communication entre le témoin et les enquêteurs sur le phénomène OVNI.
Sur le plan pratique, le modèle demande, lors de la collecte de données, de se préoccuper
des éventuelles conversations que le témoin a pu avoir à propos de son observation. La
terminologie employée, les hypothèses avancées par les interlocuteurs de ces conversations
deviennent des données pertinentes pour l'analyse de la propension à la subjectivité.
De façon générale, la propension à la subjectivité peut être présentée à l'intérieur d'une
hypothèse d'ensemble, regroupant les trois hypothèses générales présentées :
La probabilité que la subjectivité intervienne dans un témoignage ( propension à la
subjectivité ) croît lorsque des informations se référant au phénomène OVNI sont
actualisées, par le témoin ou son entourage, avant, pendant ou après son observation
de PAN.
Deux rappels semblent ici nécessaires :
-
L'hypothèse ne prédit pas que, dans tous les cas, le témoignage s'approchera des
informations actualisées ou qu'il s'éloignera de la réalité physique du stimulus perçu.
On peut facilement concevoir des cas d'espèce où le témoignage ne sera pas
influencé par les informations actualisées ou même des cas où le stimulus
correspondra à ces informations.
L'hypothèse ne prévoit qu'une probabilité pour que la subjectivité intervienne. Elle ne
prétend être qu'un critère pour trier les témoignages pouvant être plus subjectifs que
d'autres.
les informations concernant le phénomène OVNI ne peuvent pas constituer une
référence au réel ; ainsi le deuxième cas ( stimulus correspondant aux témoignages )
d'espèce cité apparaît comme très improbable. Ce postulat de travail, sur lequel nous
nous sommes attardés ( cf. 2.3. ) est fondamental.
2.8. - PRISE EN COMPTE DES DERNIERES PARTICULARITES DU TEMOIGNAGE DE
PAN
L'estimation de la propension à la subjectivité n'est pas le seul travail d'analyse possible sur
les cas d'observation de PAN. Ceux-ci comportent parfois plusieurs témoins ; l'analyse peut
alors se poursuivre en comparant les éléments apportés par chacun des témoignages. En
outre, l'environnement physique de l'observation fournit des données ( situation spatio-
temporelle des témoins, topographie des lieux, météorologie... ) permettant parfois de mieux
comprendre les nuances séparant un témoignage d'un autre.
Les règles à utiliser lors de l'analyse de la propension à la subjectivité sont des règles
émanant des connaissances psychologiques. Par contre, cette deuxième étape, mettant en
rapport les différents témoins et témoignages entre eux et avec l'environnement physique
utilise simplement les normes de la logique ( triangulation spatio-temporelle par exemple ).
Cette analyse logique doit déboucher sur la proposition d'un ou plusieurs scénarios,
comportant des caractéristiques plus ou moins probables, de l'événement qui a pu être à
l'origine des témoignages recueillis.
Nous appellerons le résultat final de cette analyse la "présomption de subjectivité".
Signalons finalement le fait que quelques enquêtes permettent de recueillir des données
physiques ( traces, échos radars... ). Il appartient alors aux enquêteurs de confronter les
hypothèses de travail, fournies par l'analyse du témoignage avec celles découlant des
données physiques. Cette confrontation ne se réalise que dans la phase ultime de
discussion générale du cas ; en aucune manière l'existence des données physiques ne doit
interférer immédiatement avec l'analyse du témoignage proprement dite.
2.9. - COLLECTE DES DONNEES
Il n'est pas inutile de rappeler que les données pertinentes pour l'analyse du témoignage sont
recueillies en même temps que le témoignage des caractéristiques physiques observées,
pour autant que ces deux éléments font partie d'un vécu unique du témoin, rapporté dans un
discours commun ( 1 ).
(1) Au sens large du terme : parole, dessin, geste...
Ce discours doit être au départ le plus libre possible, mais l'enquêteur doit être attentif pour
relancer le témoin sur les points que celui-ci n'aborde que sommairement.
Cette relance doit se faire de façon non directive. Plus tard, le témoignage peut être
complété par un "entretien centré".
Les données recueillies doivent s'articuler autour de quelques thèmes principaux :
Cadre de référence : niveau de croyance et connaissance ( évolution éventuelle ) à
propos des PAN et des différentes interprétations proposées couramment ( manifestations
d'extra-terrestre, par exemple ).
Interprétation immédiate et postérieure.
Vécu sentimental autour de l'observation.
Relations du témoin avec son entourage suite à son observation.
Le référentiel linguistique et le style ( interprétatif, descriptif ) du discours doivent être
remarqués.
Cette méthodologie est le fruit de la confrontation entre la théorie psychologique et la
pratique des enquêtes au sein du GEPAN. Elle a été mise en place principalement par
F. ASKEVIS dans les années 1978 et 1979.
3. – ANALYSE DES TEMOIGNAGES DE PAN
3.1. - PRINCIPES GENERAUX
Les données à analyser se présentent généralement sous la forme d'une série de plusieurs
discours ( au sens large : textes écrits déclarations orales mais aussi gestes, dessins,
intonations... ) issus d'un ou plusieurs témoins. Mais chacun de ces discours est aussi un
ensemble complexe d'éléments d'information différents : par exemple les estimations de
paramètres descriptifs ( distance, forme, couleur... ) relatifs à un ou plusieurs phénomènes au
cours d'une ou plusieurs phases d'observations.
A partir de la constatation de la complexité des informations contenues dans les
témoignages, l'analyse va se fonder sur trois principes généraux :
-
Il est pratiquement impossible de mener une analyse globale sur un ensemble aussi
complexe en étudiant simultanément tous les éléments d'information de cet ensemble.
On est donc conduit à essayer d'ordonner cet ensemble pour pouvoir l'analyser. Cet
ordonnancement consistera à isoler dans chaque discours de chaque témoin les
éléments d'information relatifs, par exemple, aux paramètres descriptifs d'un
phénomène ou d'une phase d'information. On aboutit alors à une saisie matérielle des
données suivant le schéma ci-dessous :

Bien entendu, il peut être difficile de construire une telle matrice à partir des seuls
témoignages. Cette construction pourra se modifier ou même n'apparaître clairement
qu'au cours de l'analyse.
On trouve un exemple d'un tel ordonnancement des informations au paragraphe 4.4. ) ( exemple
d'analyse de témoignage ).
-
L'analyse des informations de témoignages ainsi ordonnancée consistera à étudier
la cohérence entre les différents éléments ( cohérence interne de chaque discours,
cohérence entre les différents discours ). Cette étude utilisera les autres types
d'information disponibles, susceptibles de mettre en évidence ou d'expliquer
d'éventuelles incohérences.
Ces autres informations disponibles sont :
des renseignements d'ordre physique décrivant les circonstances des observations
( topographie, météorologie, etc. ). Elles font partie de "l'environnement physique" et
nous les appellerons extrinsèques ( au phénomène ) pour ne pas les confondre avec
les informations de traces ( au sol, écho radar, etc. ), pouvant être dues éventuellement
à une interaction du ( ou des ) phénomène ( s ) avec cet environnement ( ces dernières
informations dites intrinsèques, ne seront prises en compte qu'après l'analyse des
témoignages, pour confrontation et synthèse finale ).
des informations d'ordre psychologique relatives aux témoins telles qu'elles ont pu
être recueillie au cours de l'enquête ( voir plus haut ) : attentes, présupposés, réaction
immédiates, interpellations, etc., mais aussi les informations concernant les niveaux
de dépendances éventuelles entre les témoins ( processus d'influence ).
Par rapport au schéma tétraédrique qui sert de guide méthodologique au GEPAN
( BESSE et al, 1981 ), ces informations concernent le témoin et ses relations avec son
environnement psychosocial. Pour plus de clarté, nous les avons appelés "données de
la propension à la subjectivité".
L'analyse va donc consister à confronter trois types d'information en essayant de
déterminer les relations existant entre leurs différents éléments. Dans le schéma
tétraédrique, il s'agit d'explorer les relations entre un pôle d'information ( témoignage ),
une partie d'un autre pôle ( environnement physique, données extrinsèques ) et une
partie des deux pôles restants et de l'axe qui les joint ( attentes et réactions du témoin
et influences de l'environnement psychosocial ) ( 1 ).

(1) Bien entendu, il existe d'autres informations concernant le pôle "témoin" qui peuvent être du plus
grand intérêt, par exemple des informations d'ordre physiologiques, telles que les capacités
sensorielles ( vue, ouie ). Elles doivent inter venir dans l'analyse des témoignages lorsqu'elles sont
disponibles mais nous ne discuterons pas leur utilisation pour ne pas alourdir l'exposé car il faudrait
alors aborder la question du mode d'acquisition de ces données ( test sensoriel ) et tenir compte de leur
nature ( plus déterministe ) différente de celle ( plus probabiliste ) des données psychologiques que nous
discutons ici.
On peut noter le parallèle entre cette démarche centrée sur les relations entre les
éléments d'informations plus que sur les éléments eux-mêmes, et certaines théories
de perception ( PIAGET par exemple ) selon lesquelles si les récepteurs sensoriels
"sentent" les éléments, le processus perceptif, lui, "perçoit" les relations entre les
éléments.
L'analyse des témoignages suit ainsi un processus qui permet au chercheur de
"percevoir" les informations qui y sont contenues.
-
Bien que le processus doive être, par la force des choses largement analytique, le
résultat à atteindre sera nécessairement synthétique, c'est-à-dire devra rendre
compte des poids relatifs des différents éléments de témoignages en explicitant les
cohérences et les incohérences à l'aide des informations d'ordre physique et
psychologique.
Ceci devra donc conduire à une évaluation probabiliste des différents éléments
d'information étant entendu qu'une probabilité différente pourra être attribuée à
chacun d'eux ( par exemple, un témoignage douteux ne permet pas nécessairement
d'éliminer les autres témoignages du même cas... ).
Nous avons appelé cette probabilité associée en fin d'analyse à chaque élément
d'information issu des témoignages, la "présomption de subjectivité". Ainsi, l'analyse
conduit à un ou plusieurs scénarios dont certains éléments pourront avoir une forte
présomption de subjectivité, alors que pour d'autres elle restera faible.
D'un point de vue pratique, il n'y a pas de technique standard, infaillible, qui permette
d'aboutir à coup sûr au type de résultat que nous venons d'énoncer.
Il n'est pas certain non plus qu'existe pour chaque cas d'observation un résultat unique
( un "bon" résultat ) pour les analyses que l'on peut mener. Dans certains cas, les
données d'ordre physique prendront une importance particulière ( dans l'exemple ci-
après, elles permettent de localiser le phénomène par triangulation et de scinder les
événements en différentes phases ). Dans d'autres, les données psychologiques
permettront d'expliquer d'abondantes contradictions ( voir ESTERLE et al, 1981 ). Tout
au plus, pourrons-nous donc indiquer quelques lignes directrices sur la méthode à
suivre, étant bien entendu que le schéma devra être adapté à chaque cas particulier.
3.2. – SCHEMA GENERAL D'ANALYSE
A titre indicatif l'analyse peut commencer par la cohérence interne de chaque témoignage
( analyse des lignes de la matrice décrite ci-dessus ). Cette cohérence est étudiée en fonction
des informations physiques extrinsèques ( conditions de visibilité, compatibilité des
estimations de durée, distance, vitesse, etc. ). Les incohérences éventuelles sont examinées
par rapport aux attentes particulières du témoin, de même que l'utilisation possible d'un
vocabulaire particulier.
Après étude de la cohérence interne, on peut examiner ensuite la cohérence inter-
témoignage ( analyse de la matrice en colonnes ). Là aussi, les incohérences sont à étudier
par rapport aux conditions physiques d'observations aux attentes et réactions particulières
des témoins aux relations spécifiques qu'ils peuvent avoir eu entre eux ( la question du rôle
de l'indépendance des témoins a été étudiée et sera discutée dans une Note Technique
ultérieure ).
Ce travail étant fait, il faut ensuite considérer globalement les résultats pour voir si on a pu
aboutir à une explication complète de l'ensemble des données. Eventuellement apparaîtront
alors des questions auxquelles l'analyse n'aura pas répondu, et qui demanderont un
réexamen particulier ou même général ( y compris des modifications de la matrice de
départ ). Le processus se poursuivra jusqu'à aboutir à un équilibre général où l'ensemble des
données des témoignages se trouvera expliqué par les informations disponibles ( ce qui
pourra demander parfois un complément d'enquête ). Aux différentes unités d'information
( distance forme, etc. ) sera alors associé un jeu de pondérations probabilistes permettant
d'élaborer des hypothèses ou scénarios, plus ou moins probables sur les événements à
l'origine des témoignages.
3.3. - MODÈLES PRÉCÉDENTS
La technique d'analyse de témoignage que nous venons de présenter est cohérente avec la
réflexion théorique qui le précède. Elle est aussi le résultat d'une confrontation avec la
pratique des enquêtes sur le terrain. A ce double titre, elle fait suite à la technique utilisée
précédemment dans les enquêtes du GEPAN, mise en place grâce aux travaux de
F. ASKEVIS. Nous rappelons les grandes lignes de ce système d'analyse.
Ce système permettait de situer chaque cas d'observation, selon une échelle ordinale, dans
un continuum de la "probabilité pour que le cas auquel on avait affaire corresponde à une
situation où les éléments subjectifs sont réduits au minimum" ( PESM ).
Le PESM est évalué à l'aide d'un système composé de trois critères :
multiplicité et concordance des témoignages ;
indépendance des conditions d'observation ( s'il y a plusieurs témoins ) ;
renforcement des croyances.
Le tableau ci-dessous représente les différentes modalités de chaque critère, et leurs
articulations permettant de classer les combinaisons des modalités dans le continuum du
PESM.


Cette technique, si elle permet essentiellement de comparer différents cas entre eux, souffre
par contre d'un manque de nuance qui rend difficile, voire impossible, la prise en compte des
données lorsqu'elles sont multiples ( plusieurs témoins, différents discours, phases multiples
d'observation ). Dans ces cas, les critères risquent de prendre des valeurs différentes selon
les témoins ou les phases d'observation, par exemple.
Une appréciation globale comme celle du PESM est donc parfois délicate ou arbitraire.
Nous venons de proposer une technique d'analyse plus nuancée, en donnant plus de poids
aux données relatives à chaque témoin, à chaque élément, à chaque phase, ainsi qu'aux
interactions qui peuvent exister entre eux.
Par contre, la technique du PESM reste toujours une alternative appropriée pour les cas
d'observation simples, avec par exemple un témoin unique et une phase unique
d'observation. Mais on peut alors se demander dans quelle mesure il vaut la peine
d'entreprendre une étude de tels cas puisque justement le chercheur est alors privé du
matériau permettant des analyses complexes de recoupement, confrontation, vérification
cation de cohérences, etc.
4. – EXEMPLE
4.1. - INTRODUCTION
Nous allons montrer ici les grandes lignes de l'analyse des témoignages effectuée dans une
enquête du GEPAN, récemment publiée ( cf. EBERS et al, 1981 ).
L'abondance des données brutes exclut leur présentation in extenso. Nous rappelons
simplement qu'il s'agit d'un phénomène qui avait fortement éclairé une agglomération et ses
alentours. Peu après minuit, au printemps 1979. Cette lumière a été observée par 6 témoins
au moins, répartis en trois groupes. Elle était accompagnée par des coupures de courant
électrique et par l'observation de formes lumineuses dans des endroits précis. Trois jours
après l'observation, environ 1800 kg de poissons sont morts dans des bassins d'élevage, à
proximité immédiate de l'endroit où le phénomène lumineux avait été observé.
Pour la plupart des témoins, nous possédons deux documents de travail : le PV de
gendarmerie et l'enquête du GEPAN. Ces documents comportent des récits et des données
spatio-temporelles, recueillies parfois par reconstitution ( voir EBERS et al, 1981 ).
Le corpus des témoignages à analyser est constitué de 13 discours émanant de huit témoins
et répartis dans les deux documents ( dans EBERS et al, 1981, le compte-rendu d'enquête
79/03 du GEPAN ne cite que 6 témoins et 11 discours, les autres n'apportant rien au plan de
l'analyse globale ).
4.2. - EXAMEN DES DONNÉES
Nous avons décomposé ces discours en unités élémentaires, en éléments
descriptifs susceptibles de concerner des phénomènes distincts bien que
concomitants : "lumières" "coupures de courant" et "formes lumineuses". Ces
données ainsi réparties forment la première série d'informations ( témoignage ) à
traiter.
La deuxième série est constituée par les informations relatives à la "propension à la
subjectivité" ( tel que le terme a été défini plus haut ). Pour 4 témoins, celles-ci ne
laissent apparaître aucune donnée spécifique susceptible de pondérer les unités
élémentaires de discours.
On décèle par contre chez l'un des témoins Madame ARMAND, une forte attente vis-
à-vis des incendies et du feu, en raison d'une expérience antérieure "J'ai vu une
maison brûler et deux femmes se jeter par la fenêtre ; ce sont des choses qui me
restent..."
Cette attente s'est traduite par une forte angoisse au moment de la perception des
formes lumineuses : "ces fils électriques qui brûlaient, çà me remuait... boules de
feu.. ".
A un premier niveau de l'analyse, on peut considérer qu'il est probable que la
subjectivité du témoin soit intervenue dans la perception de ces éléments.
Un autre témoin, Monsieur RAOUL, a vécu son observation avec beaucoup
d'angoisse et d'incompréhension. Par la suite, il a manifesté un intérêt non
négligeable pour des phénomènes "analogues", au point d'acheter des revues
spécialisées. Ces sentiments persistent au moment de l'enquête : "Je m'explique
mal, j'arrive à croire qu'il y a des engins : on a été suivis par cette lumière et puis
voir ce truc en arrière, énorme...". En outre, le témoin a perçu le phénomène avec une
sélectivité très forte, au point de ne remarquer aucun élément du paysage arbres,
poteaux, moutons... : "Je les ai pas vu... çà m'a pas marqué l'esprit...".
Ces données nous poussent à considérer que son témoignage doit être pondéré par
une certaine propension à la subjectivité. Cette subjectivité peut être moins forte pour
les données recueillies cinq jours après l'observation par la gendarmerie, que pour
celles rapportées aux enquêteurs du GEPAN. En effet, en dehors des actions du
temps sur le souvenir des situations vécues avec une forte émotion, des enquêteurs
privés ont interrogé entre temps le témoin avec des méthodes "fermées", par
exemple en montrant des photos dites "d'OVNI" pour que Monsieur RAOUL retrouve
le phénomène observé...
L'analyse conduit donc à considérer qu'il est probable que les données rapportées
par Monsieur RAOUL ne sont pas exemptes de subjectivité en particulier pour ce qui
est des termes employés ( vocabulaire interprétatif ).
Pour ce qui est des données relatives à l'environnement physique ( données
extrinsèques ), elles se composent principalement des positions spatio-temporelles
des différentes observations : direction d'observation, obstacles physiques divers... A
titre d'exemple, nous pouvons signaler que le champ de vision était plus large pour
certains témoins, et que deux d'entre eux ont observé à l'intérieur d'une voiture en
mouvement ( voir EBERS et al, 1981 ).
4.3. - STRATÉGIE D'ANALYSE
Tout en rappelant qu'il y a plusieurs façons d'analyser ces trois séries de données nous
choisissons dans le cas présent d'étudier les témoignages ( première série d'information )
des points de vue successifs de :
la concordance intra-témoignage ;
la concordance inter-témoignage par groupes de coprésence ( ou présence
simultanée au moment de l'observation ) ;
la concordance inter-témoignage générale ( d'un groupe de témoin à un autre ).
Bien entendu nous ferons appel, en cours d'analyse, aux données relatives aux propensions
à la subjectivité et à l'environnement physique.
4.4. - CONCORDANCE INTRA-TÉMOIGNAGE
En général ( voir tableau plus loin ) les éléments rapportés lors des deux discours de chaque
témoin ( PV de gendarmerie et enquête GEPAN ) sont très cohérents pour chaque témoin.
Nous décelons cependant quelques contradictions :
la durée indiquée par Madame ARMAND passe d'une minute ( PV de gendarmerie ) à
trois ( enquête GEPAN ). Le modèle d'analyse permet de mettre cette différence en
rapport avec l'effet de surestimation dû à l'angoisse ou à une forte attention ( 1 ). Nous
considérons donc l'estimation d'une minute comme étant probablement la moins
subjective.
Une interprétation différente peut rendre compte d'un changement constaté dans la
terminologie employée par Monsieur RAOUL. Ce témoin parle de "boule" de
"masse" dans le PV de gendarmerie, et "d'appareil", de "disque", lors de l'enquête
GEPAN, voire "d'engin" lorsqu'on lui demande son opinion sur la question.
Nous pouvons avancer l'hypothèse que le témoin, dans un désir de compréhension d'un
phénomène qui l'avait fortement troublé, adhère à une explication du style "engin volant" en
particulier s'il a été aiguillé dans ce sens par les méthodes des enquêteurs privés citées plus
haut.
(1) Cf. FRAISSE, 1967, pour l'évaluation des durées.

4.5. - CONCORDANCE INTERGROUPES PAR GROUPES DE CO-PRESENCE
-
M., Mme et Melle Armand
Ces trois témoins étaient situés, au moment de l'observation, dans deux pièces voisines.
Ils ont regardé par leurs fenêtres respectives. Les témoignages indiquent que, avant de
regardé, Mlle ARMAND a entendu une exclamation de son père qui se situe quelques
secondes après qu'il ait commencé à observer ( Mme ARMAND a regardé un peu avant son
mari ). Les durées d'observation rapportées permettent alors d'affirmer que les 3 témoins
étaient face à un même phénomène.
Les témoignages sont très proches pour l'heure d'observation la durée, le bruit, la couleur et
l'intensité de la lumière.
Cependant, deux différences importantes apparaissent entre leurs récits : le "câble en feu" et
les "boules en feu", rapportés exclusivement par Mme ARMAND, et le degré
d'éblouissement des témoins. Alors que M. et Mme ARMAND voyaient tout le paysage
éclairé par la lumière, Mlle ARMAND était fortement aveuglée au point de ne voir "qu'un
rideau de lumière".
Cette dernière contradiction peut être expliquée grâce à trois propositions :
une sensibilité particulière de Mlle ARMAND à la lumière. Cette proposition est en
accord avec le fait que ce témoin a eu les jours après l'observation, des "petites
irritations dans les yeux" ;
une plus grande intensité lumineuse reçue objectivement par Mlle ARMAND ; cette
proposition présuppose que le point d'observation de ce témoin était légèrement plus
rapproché de la source lumineuse supposée isotrope ;
une intensité lumineuse croissante du phénomène observé. L'accoutumance est plus
aisée si le témoin commence son observation alors que le phénomène est encore de
faible intensité. Ainsi, Mme, M. et Mlle ARMAND, qui ont commencé à observer cet
ordre font état d'éblouissement d'autant plus fort : M. ARMAND a été relativement plus
ébloui que son épouse : "J'ai été fort ébloui par une lumière qui éclairait tous les
environs... tellement intense que je n'ai rien pu voir d'autre".
Les témoignages de Mlle ARMAND ( "aveuglée" ) et de son père ( cf. dernière citation ) ne
poussent pas à considérer que les phénomènes "câbles en flammes" et "boules de feu
rapportés par Mme ARMAND manquent de cohérence au niveau du groupe. Ils peuvent
résulter simplement d'une plus grande accoutumance.
A ces stades de l'analyse l'acceptation de ces deux éléments descriptifs ne doit pas ignorer
la propension à la subjectivité signalée plus haut. Toutefois, cette propension ne permet pas
non plus de rejeter totalement ces données. On peut supposer que Mme ARMAND a
observé quelque chose s'apparentant aux éléments descriptifs qu'elle fournit.
Quelle que soit la propension à la subjectivité que l'on ait pu déceler, il reste toujours une
probabilité, même faible, que cette description soit parfaitement exacte. Mais cette
probabilité est directement fonction de l'importance de cette propension à la subjectivité.
Une autre ambiguïté peut être facilement dépassée, à propos du phénomène "coupure de
courant électrique". Mlle ARMAND a constaté au moment de l'observation qu'il n'y avait pas
de courant, alors que son père a remarqué, après la fin du phénomène lumineux, que le
courant n'était pas coupé. La coupure du courant disparaît donc à peu près au même
moment, que la lumière éblouissante.
M. & Mme Raoul
Ces deux témoins étaient, au moment de l'observation à l'intérieur de leur voiture en
mouvement. Nous pouvons considérer avec certitude que leur observation relève du même
phénomène lumineux. Par contre, M. RAOUL a été le seul à se retourner et à apercevoir une
"forme lumineuse" sans que cela puisse être confirmé ou infirmé par son épouse qui
conduisait et regardait toujours devant elle.
Leurs témoignages sont largement concordants pour les éléments descriptifs de la lumière.
Toutefois, le témoignage de Mme RAOUL n'a été consigné que par l'enquête GEPAN,
quatre mois après l'observation et précédé de plusieurs conversations, sur le phénomène
observé, avec son époux. Celui-ci est, en outre, considéré comme pouvant avoir une
propension à la subjectivité non négligeable lors de son témoignage, en particulier pour les
éléments se rapportant à la forme et au comportement des phénomènes ( vocabulaire
interprétatif ).
Nous appliquons le même critère aux éléments communs des témoignages des deux époux,
en particulier à la description du déplacement de la lumière : "Cette lumière avançait en
même temps et à la même vitesse que nous'' ( M. RAOUL ) ; "la lumière nous suivait,
j'avais vraiment l'impression qu'elle était fixée sur la voiture" ( Mme RAOUL ).
M., Mme Bernard et Mme Irène
( Seul le premier de ces témoins, M. BERNARD est cité dans l'enquête GEPAN n° 79/03 ).
Ces trois témoins sont largement concordants pour l'heure, la couleur, l'intensité et la
direction de la lumière. M. BERNARD est le seul à n'avoir pas perçu de bruit, mais il se
trouvait à l'intérieur de son établissement pendant que les deux autres témoins étaient à
l'extérieur.
Les trois témoins ont observé une coupure de courant électrique pendant toute la durée du
phénomène.
4.6. - CONCORDANCE INTER-TÉMOIGNAGE GÉNÉRALE
A ce stade de l'analyse, seuls les phénomènes "lumières", "bruit" et "coupures de courant
électrique" peuvent conduire à l'élaboration d'une hypothèse commune.
La situation des témoins, l'heure de l'observation et les aires illuminées, permettent d'adopter
comme hypothèse la plus économique celle d'un phénomène "lumineux" unique,
accompagné d'un bruit et d'une coupure momentanée du courant électrique.
La plupart des témoignages concordent, en indiquant des durées, intensités, couleurs,
portées de la lumière et des descriptions du bruit semblables ou compatibles. A titre
d'exemple, le groupe RAOUL indique que la "lumière venait des étangs" situés devant les
fenêtres du groupe ARMAND.
Ainsi les données sont cohérentes avec une hypothèse de localisation des aspects lumineux
et sonores à proximité des étangs, accompagnés d'une coupure du courant électrique.
L'analyse permet aussi de préciser certains aspects descriptifs probables du phénomène,
en particulier pour ce qui est des données "câble en flammes" ( Mme ARMAND ) et
"boule/appareil" ( M. RAOUL ).
Nous avons déjà signalé qu'il faut tenir compte de la propension à la subjectivité décelée
chez les témoins à propos de ces thèmes. Toutefois, la reconstitution ( voir croquis plus loin )
situe le phénomène "boule/appareil" dans la direction et avec la taille apparente du câble
rapporté "en flammes", c'est-à-dire au-dessus des étangs, vers le centre supposé de la
"lumière".
Nous pouvons alors considérer le phénomène "câble en flammes" et "boule/appareil"
comme un phénomène unique, concomitant avec l'aspect général "lumière".
L'appellation "masse, boule lumineuse" ( PV de gendarmerie ) est à préférer à "appareil", non
seulement en raison de la proximité temporelle avec l'observation, mais aussi parce qu'elle
se recoupe plus aisément avec le "câble en flammes".

4.7. - CONCLUSION
L'analyse fournit finalement des données assez précises sur les phénomènes concomitants
"lumière", "bruit" et "forme lumineuse". Toutefois la précision est moindre pour les
caractéristiques formelles de ce dernier aspect, car elles restent dépendantes de la
signification qui a pu être attribuée par les témoins du phénomène.
A plus forte raison, nous sommes conduits à donner un poids assez faible aux "boules de
feu" qui ne sont rapportées que par un seul témoin, et à la "lumière qui avançait avec la
voiture" rapportée par deux témoins dépendants.
4.8. - ÉPILOGUE
L'étude approfondie de l'environnement et des anomalies physiques a permis, dans le cas
présent, de développer ultérieurement l'hypothèse d'un "effet couronne" particulièrement
intense avec fusion partielle du câble ( boules de feu tombant dans l'étang ). Cette hypothèse,
parfaitement cohérente avec les données fournies par l'analyse des témoignages, a été
confirmée par les services spécialisés de l'EDF.
Il s'ensuit que les informations "câble en flammes" et même "boules de feu" ( tombant dans
l'étang ) fournies par M. ARMAND étaient parfaitement exactes ( l'effet couronne a entraîné un
échauffement et une fusion du câble ), alors que l'analyse des témoignages conduisait, sur ce
point, à une assez forte présomption de subjectivité.
Nous sommes, dès lors, confrontés aux limites et nuances de la pondération faite à partir de
la propension à la subjectivité. Dans le meilleur des cas, cette pondération indique une
probabilité d'intervention de la subjectivité du témoin : "on peut supposer que Mme ARMAND
a observé quelque chose s'apparentant aux éléments descriptifs qu'elle fournit. Quelle que
soit la propension à la subjectivité qu'on ait pu déceler, il reste toujours une probabilité même
faible que cette description soit parfaitement exacte".
Ici, les éléments physiques indiquent, a posteriori, que le degré de similitude entre le stimulus
réel et la description fournie était fort. Même si l'analyse ne prévoyait cela qu'avec une faible
probabilité.
A l'opposé, le degré de similitude entre "l'appareil" et la "lumière qui avançait avec la voiture
et la situation réelle est très faible correspond ainsi aux hautes probabilités de subjectivité
auxquelles concluait l'analyse.
Cela semble une illustration claire des ambitions modestes des eux de pondération résultant
des analyses de témoignages. Il ne faut jamais oublier que la présomption de subjectivité
d'une information ne porte que sur les discours des témoins. Par contre, ceci ne nous permet
pas d'analyser directement, même sous forme probabiliste, le stimulus lui même.
Cette méthode d'analyse n'a pas encore été systématiquement utilisée dans les enquêtes du
GEPAN. Une simple ébauche en a été faite pour l'enquête 79/06 ( AGUADO et al, 1981 ). A
titre d'exercice, il serait bien entendu instructif de reprendre les enquêtes antérieures
( ESTERLE et al, 1981, AUDRERIE et al, 1981, par exemple ), et d'y développer ce style
d'analyse. Ceci ne sera pas exposé en détail. Disons simplement que l'on voit apparaître une
très grande variété de confirmations, les différents types d'information ( relation
témoin/témoignage, environnement physique, environnement psychosocial ) pouvant y
prendre un poids, une importance très divers. ( Voir le poids de l'environnement psychosocial
dans AUDRERIE et al, 1981 et surtout ESTERLE et al, 1981 ).
Il faut seulement retenir que cette méthode d'analyse a l'avantage de systématiser
l'approche, d'éviter d'omettre des aspects qui peuvent se révéler importants et d'accueillir
aisément tout ce que peuvent enseigner les recherches développées sur les processus
perceptifs.
SUITE...
© CNES
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