CENTRE NATIONAL D'ETUDES SPATIALESGroupe d'Etudes des Phénomènes Aérospatiaux Non-identifiés
NOTE TECHNIQUE |
Perception déterminée par : |
Le milieu | Le sujet | Interaction milieu/sujet |
non évolutif | innéisme | apriorisme | phénoménologique |
évolutif | empirisme | pragmatisme | dialectique |
1.7. - CONCLUSION
Face à cette pluralité dans les grilles d'analyses applicables aux théories perceptives, nous adopterons un compromis consistant à prendre dans l'ordre les trois domaines qui fournissent le plus de données sur la perception humaine : la psychophysiologie, la psychophysique et les théories dialectiques ( PIAGET, BRUNER ).
Nous les prendrons "dans l'ordre" dans la mesure où ils s'ordonnent d'eux-mêmes selon les positions qu'ils prennent ou semblent prendre, à l'intérieur des grilles exposées plus haut :
l'importance croissante attribuée à la signification et au processus interactionniste : passage des modèles passifs ( innéistes, empiristes ) aux modèles interactionnistes, dialectiques ;
le passage des modèles centrés sur l'environnement aux modèles centrés sur le sujet, et des modèles atomistes et linéaires aux modèles moléculaires et en boucle ;
le basculement entre une réalité objective et une réalité phénoménologique.
2. - LES MODELES S'INSPIRANT DES DONNEES PSYCHOPHYSIOLOGIQUES
2.1. - CARACTÈRE ANALOGIQUE DE LA PERCEPTION
Un exposé, même succinct, des données de la physiologie dans le domaine de la perception sortirait largement du cadre du présent travail ( 1 ).
(1) Le lecteur peut consulter un des nombreux manuels existant à ce sujet, p.e. KAYSER, 1963.
Cette remarque s'applique d'ailleurs à tous les domaines que nous présenterons. Nous rappellerons simplement que la physiologie sensorielle a montré, depuis longtemps, le caractère analogique de la relation entre les paramètres du stimulus, la réaction des récepteurs sensoriels et l'influx nerveux ( 2 ).
L'énergie physique ou chimique émise par un stimulus est ainsi traduite en une énergie électrique complexe. Par exemple l'amplitude et la durée du potentiel électrique transmis par le récepteur sensoriel sont fonction de l'intensité et de la durée de la stimulation. Cette énergie électrique est acheminée par les voies nerveuses, entre les récepteurs sensoriels et le système nerveux central.
A première vue, ces données fondamentales de la psychophysiologie semblent étayer aisément un modèle linéaire moléculaire, passif, de la perception. En outre, on pourrait prêter à ces données l'ambition de montrer l'existence d'une perception « vraie », enregistrant une réalité objective ; c'est-à-dire qu'au niveau des récepteurs sensoriels, la perception est une copie exacte du stimulus, limitée simplement par les probabilités physiques des sens.
L'analogie avec les instruments qui transcrivent certains paramètres sur un support physique est évidente ; un appareil photographique, par exemple, transcrit selon certaines lois géométriques et physiques les ondes lumineuses émises par un stimulus, avec des limites connues : bande passante, sensibilité, grain...
De la même façon, les données de la physiologie pourraient permettre de penser que, par exemple, l’œil humain fixe les ondes lumineuses selon des lois et des limites uniquement géométriques et physiques.
(2) En informatique, on parlerait de "transformation" de l'information : changement de support qui conserve la sémantique.
2.2. - REMARQUE
Une telle affirmation, généralisée à tous les récepteurs sensoriels, serait d'une importance capitale pour le problème qui nous intéresse : le témoignage de PAN ( 1 ).
(1) Phénomènes Aérospatiaux Non-identifiés.
Ajoutons, par exemple, deux autres propositions ; l'une certifiant la fidélité d'une mémoire à long terme inconsciente des paramètres fixés au moment de la sensation, la deuxième attestant la fiabilité de certains moyens de remémorisation : hypnose, polygraphe, reconnaissance, reconstitution...
Ces trois propositions réunies justifieraient la possibilité d'obtenir toujours d'un témoin un compte-rendu fidèle d'un événement antérieur.
Mais, cette possibilité repose entièrement sur une certaine idée de la réception sensorielle : celle-ci fournirait une copie exacte des paramètres physiques du stimulus, autrement dit, procéderait à un codage analogique passif, ne tenant compte que des caractéristiques physiques du stimulus.
2.3. - LIMITES DU CARACTÈRE ANALOGiQUE
Les données mêmes de la psychophysiologie permettent de rejeter cette conception ces données montrent que l'information fournie par les récepteurs sensoriels n'est pas ( toujours ) le simple résultat d'un codage analogique des paramètres physiques du stimulus. Deux exemples suffiront :
Les potentiels électriques captés au niveau des premiers relais synaptiques ( sortie des récepteurs sensoriels ) peuvent être augmentés réduits ou supprimés par l'attention ou l'émotion du sujet ( cf. p.e. DAVIS 1964 - COQUERY, 1972 ).
On peut observer, déjà au niveau des récepteurs sensoriels une structuration particulière des différentes cellules réceptives, qui dépasse l’image physique du stimulus. Cette structuration montre par exemple, la séparation d'une image de son fond ( cf. GREGORY 1970 ).
En général, et contrairement à l'hypothèse signalée, les données psychophysiologiques semblent montrer que la principale fonction de la réception sensorielle n'est pas de copier le stimulus, mais de mettre l'accent sur les "nouveautés" que ce stimulus comporte. Il apparaît dès lors que la fonction adaptative de la perception s'exprime parfaitement en termes psychophysiologiques.
De surcroît, les données psychophysiologiques sont, contrairement aux apparences, parfaitement compatibles avec les modèles moléculaires et en boucle ( 1 ).
(1) Présentés au paragraphe 1.5.
Outre les deux exemples cités, rappelons une autre donnée : les formations réticulaires sont un réseau de fibres nerveuses qui s'étend de la moelle au Thalamus. Le but de ce réseau est de réguler le sommeil et la veille de l'organisme. Pour cela, ces formatons inhibent plus ou moins les messages sensoriels qui, cheminent vers le cerveau. Mais au-delà d'une régulation grossière de la quantité de l'information reçue par le système nerveux central, les formations réticulaires semblent exercer un contrôle sélectif sur les sensations. Elles seraient alors les responsables du phénomène bien connu de la mère qui peut dormir malgré des bruits banals intenses mais qui se réveille au moindre pleur de son bébé ou tout autre bruit qui lui ressemble vaguement.
Nous retrouvons dans cet exemple des caractéristiques sélectives et probabilistes qui se marient mal avec un modèle linéaire et moléculaire de la perception.
2.4. – REMARQUE
Nous ne fermerons pas ce sous-chapitre sans signaler que certains spécialistes du témoignage accordent une très grande importance aux phénomènes physiologiques. Un psychologue américain ( 1 ) a réuni dans un récent ouvrage ( HAINES, 1980 ) ces travaux sur le témoignage "OVNI" ; la plupart sont des considérations neurophysiologiques ou simplement physiques.
Par exemple, l'un des chapitres, aborde une réflexion sur les différentes sources de l'intensité lumineuse reçue par l’œil humain. En effet, comme le montre l'illustration ci-dessous, la luminosité apparente d'un objet est le fruit des interactions entre les lumières émises et les lumières réfléchies émanant de l'objet observé, les nuages, la terre, le soleil...
FIGURE 2.1. - EXTRAIT DE HAINES 1980 - page 139
(1) R.F. HAINES est spécialiste des problèmes de perception humaine à la NASA.
L'intérêt de ce type de réflexion va de pair avec la possibilité de capter le message sensoriel que véhiculent les voies nerveuses au moment de l'observation.
Mais lorsqu'on ne dispose que du souvenir verbal de la luminosité de l'objet observé, le problème de l'évaluation de cette luminosité ne se pose plus seulement en termes d'interactions physiques ou de caractéristiques fonctionnelles des récepteurs sensoriels. Les études sur la perception humaine ont montré que la luminosité retenue par un observateur n'est pas celle qui est reçue par son oeil, mais le fruit d'un calcul qui tient compte, d'une part de toutes les sources de lumière, d'autre part de l'hypothèse qu'il fait sur l'objet observé. Nous y reviendrons.
2.5. - CONCLUSION
Ainsi d'une manière générale, les études sur la perception faites dans le domaine de la psychophysiologie sont en même temps les plus précises et les moins utilisables dans le domaine du témoignage humain et de la perception en général : les plus précises parce qu'elles sont les seules à pouvoir prétendre capter les réponses du processus perceptif sans l'interaction des processus cognitifs, mnémoniques... Mais les moins utilisables dans le domaine de la perception parce que ces études montrent, et en même temps négligent, le problème fondamental de la perception : la signification que le sujet attribue au stimulus reçu.
3. – LES MODELES S’INSPIRANT DES DONNEES DE LA PSYCHOPHYSIQUE
3.1. - INTRODUCTION
Si la perception était exclusivement le processus de recueil et de codage de l'information, la neurophysiologie serait le domaine scientifique le mieux adapté pour en rendre compte.
Recueillir les potentiels électriques locaux dans les nerfs acoustiques et les mettre en rapport avec les caractéristiques ondulatoires du bruit d'un klaxon de voiture, est une façon assez développée de connaître le codage effectué. Mais elle ne nous permet pas de comprendre pourquoi nous sautons de côté, confrontés à ce bruit dans la rue, et pourquoi nous ne le faisons pas face au même bruit entendu dans notre téléviseur.
Comme le fait remarquer PAILLARD ( 1980 ), les modèles physiologiques sont pour la plupart des modèles de fonctions partielles, qui perdent leur valeur dès que l'on prétend les appliquer à l'organisme humain dans son entier.
Ainsi, si la perception est, comme nous l'avons maintes fois signalé, un processus adaptatif, son étude se trouve approfondie à partir du moment où on y considère les réponses que le sujet effectue à la situation perceptive.
Au-delà donc des réponses inconscientes de l'organisme humain, l'étude de la perception comprend celle des réponses conscientes du sujet ( 1 ).
Historiquement, la première approche qui aborde en psychologie l'étude de la perception est celle de la "psychophysique".
(1) Nous parlerons plus tard de deux approches se situant entre les processus inconscients et les processus conscients : la "subception" et les modèles "multibox".
3.2. - OBJECTIF DE LA PSYCHOPHYSIQUE
Pendant que la physiologie sensorielle se préoccupe des variations physiquement observables du système nerveux concomitantes avec les variations physiques du stimulus, la psychophysique met en relation ces dernières avec les appréciations conscientes et explicites que le sujet en fait. Certains auteurs s'accordent pour appeler "sensations" ces appréciations ( par exemple : PIERON, 1979 ).
Les données de la psychophysique se présentent comme la mise en relation, selon des fonctions mathématiques, des valeurs des paramètres physiques du stimulus et des estimations subjectives de ces valeurs. Les premières sont appelées "réelles", les deuxièmes "apparentes".
Les recherches successives dans le domaine de la psychophysique essaient d'affiner l'évaluation des facteurs numériques des fonctions mathématiques impliquées et de trouver parmi les variables de la situation expérimentale celles qui sont les plus déterminantes ( 2 ).
(2) Pour une présentation plus approfondie voir, par exemple, WOODWORTH et SCHLOSBERG ( 1961 ), FRAISSE ( 1968 ).
Un rapide exemple illustre les recherches dans ce domaine. Récemment, COOK ( 1978 ), en travaillant sur la fonction classique : la distance apparente est fonction d'une puissance de la distance réelle, essayait de montrer que l'exposant de cette fonction est sensiblement constant pour chaque sujet humain.
3.3 – POSTULATS
On comprend aisément les postulats, parfois implicites, du modèle perceptif psychophysique : il s'agit d'un modèle de type isomorphique, passif, additif, et attribuant peu d'importance à la signification.
Il existerait une relation qui conserve les formes ( isomorphique ) entre les paramètres physiques de l'environnement et leurs représentations mentales ( les valeurs apparentes ).
Les différences séparant cette représentation implicite ou valeur apparente, et l'estimation faite par le sujet ne proviendraient que des conditions d'observation ou de la méthode de remémorisation ; la représentation implicite elle-même ne serait pas impliquée dans ces différences. Autrement dit : la représentation existerait toujours, mais serait plus ou moins atteinte en fonction des conditions de l'expérimentation.
La relation isomorphique entre le monde réel et le monde perceptif implique une relation causale où le réel détermine le perceptif. La représentation implicite n'est qu'une copie déformée mais stable de la valeur physique.
La représentation perceptive d'un objet ou d'une situation physique ne serait que la "somme" des représentations élémentaires des différents paramètres physiques qui le composent.
3.4. - LIMITES DE LA PSYCHOPHYSIQUE
La rigidité de ce dernier postulat a été partiellement dépassée par les psycho-physiciens eux-mêmes. Ils ont rapidement admis que la valeur apparente de certains paramètres est en interdépendance avec d'autres paramètres. Ceci est explicité dans les "lois de constance" de la forme la taille la couleur, le mouvement... découvertes principalement par les gestaltistes.
Par exemple, la constance de la taille indique que le sujet utilise largement la taille projective pour estimer la distance apparente d'un objet, dont il connaît ou croit connaître la taille réelle ( la relation inverse étant aussi possible ).
Ainsi, cette interdépendance fait appel à l'expérience perceptive générale d'un réel considéré par le sujet comme largement invariable. L'expérience quotidienne nous apprend, par exemple, que la taille réelle d'un objet ne varie pas.
GOGEL ( 1969 ) postule deux tendances perceptives grâce auxquelles le sujet observerait une taille apparente même lorsqu'il ne possède pas d'indices réels lui permettant d'estimer la distance ou la taille réelles ( 1 ).
(1) Nous en reparlerons dans le chapitre 3.
D'une façon générale, les lois de constance dépassent amplement les simples lois psychophysiques ; elles s'appuient plus ou moins explicitement sur l'expérience que le sujet a des paramètres physiques "en relation", et non pas sur l'un ou l'autre de ces paramètres isolément.
En outre les lois psychophysiques ne fonctionnent correctement qu'en négligeant la signification de l’objet perçu ; les expériences s'y rattachant utilisent des stimuli ayant des significations restreintes ( dans la plupart des cas des formes géométriques ).
Dès qu'on introduit des stimuli ayant des significations fortes, les lois psychophysiques se trouvent mises en défaut. Par exemple, SLACK ( 1956 ) montre que la taille apparente d'une chaise anormalement petite ou anormalement grande, se rapproche de la taille normale, même si le sujet dispose des indices permettant d'évaluer sa distance. Dans ce cas l'expérience perceptive antérieure prime sur l'ajustement fait en fonction de la distance.
3.5. - CONCLUSIONS
Ces remarques montrent les limites du modèle psychophysique de la perception, conçue comme une addition de valeurs apparentes des caractéristiques physiques du stimulus. Bien au contraire, un modèle attribuant une importance capitale à la signification et à l'expérience antérieure de situations réelles, apparaît comme plus économique, plus simple, pouvant englober les lois psychophysiques comme des cas particuliers.
En résumé, si les premières lois psychophysiques correspondaient à une optique de la perception passive, linéaire, atomiste et fidèle à la réalité physique ( voir 1.4 et 1.5 ), les concessions faîtes dans les lois de constance, et par l'introduction de la signification, dépassent largement cette optique.
Ces lois sous-entendent une mise en relation d'une hypothèse sur le stimulus, avec les indices sensoriels de ses caractéristiques physiques ; elles sous-entendent aussi une position phénoménologique : "ce qu'on sait" sur le stimulus prime sur ses caractéristiques physiques réelles.
3.6. – REMARQUE
Au plan du témoignage humain, la non pertinence de l'optique psychophysique comme modèle général de la perception va de pair avec l'inadéquation de certaines techniques d'enquête préconisées ici et là dans la littérature spécialisée ( qui se désigne comme "ufologique" ). Il s'agit des techniques considérant le sujet humain comme un instrument passif de mesure, et prétendant calibrer cet instrument lors de l'enquête. ( Citons, par exemple, HYNECK, 1972, qui propose des tests pour déterminer les vitesses angulaires ).
Or, s'il est exact que certaines expériences ( 1 ) montrent que les erreurs d'estimation des magnitudes physiques sont assez stables dans le temps pour un sujet donné, nous venons de signaler que cette estimation est bouleversée dés qu'on introduit un stimulus ayant ou pouvant avoir une forte signification.
Par contre nous devons remarquer l'importance de certaines théories psychophysiques pour ce qui est des études statistiques générales sur les témoignages de "PAN". Par exemple, les recherches en psychophysique concernant l'estimation de paramètres physiques dans des conditions où peu d'indices réels sont disponibles ( pour estimer la taille par exemple ), pouvant aider à mieux cerner les cas généraux de phénomènes lumineux dans le ciel, accompagnés d'une faible implication de la part du sujet ( c'est-à-dire, les cas où le témoin attribue une faible signification au phénomène observé ).
(1) Voir, par exemple, COOK ( 1978 ) déjà cité ou les travaux de
TEYSSANDIER ( 1971 ).
Par exemple, des recherches sont en cours sur la distance apparente d'un phénomène lumineux par rapport à
des variables physiquement non pertinentes (2), permettant peut être de répondre aux questions ouvertes par
un récent travail statistique ( BESSE, 1981 ).
(2) La hauteur angulaire, la distance réelle de l'horizon visuel, etc.
4. – DEUX APPROCHES PARTICULIERES
Deux approches particulières se trouvent à mi-chemin entre les démarches d'inspiration physiologique et les démarches psychologiques. Nous les citerons pour mémoire.
4.1. – LES PHENOMENES DE SUBCEPTION
La subception est "un processus perceptif, hypothétique, infraconscient, indiqué par une réponse psychogalvanique à un stimulus qui n'est pas perçu" ( PIERON, 1979 ).
Plus généralement, on peut dire que la subception est la prise d'information d'une situation qui n'arrive pas à la conscience du sujet mais qui est susceptible de modifier son comportement.
En règle générale, on prouve l'existence du phénomène de subception par le fait qu'une présentation très rapide d'un stimulus qui n'est pas perçu ( consciemment ) est corrélée avec une réponse de l'individu ( 1 ). On peut citer, par exemple, les réponses électrodermales associées à certains mots "tabous" ( cf. NOIZET et BROUCHON, 1967 ), ou la résolution d'un problème visuel lorsque la solution a été présentée rapidement, avant l'expérience ( cf. KOLERS, 1957 ).
Ces exemples font penser que l'organisme est capable de prendre beaucoup plus d'information que celle dont nous avons conscience aussi que cette information est conservée, au moins à court terme. Mais ils font aussi penser qu'il s'agit déjà d'une information construite, ayant une signification pour le sujet, et non pas une simple copie fidèle du réel.
Les arguments présentés plus haut, contre la fidélité d'une hypothétique mémoire des paramètres physiques, s'appliquent ici aussi sans restriction.
(1) Pour une discussion théorique, voir ERDELYI ( 1974 ).
4.2. - LES MODÈLES "MULTI-BOX"
Le caractère apparemment linéaire du traitement de l'information entre les récepteurs sensoriels et les centres nerveux a fourni les bases premières à toute une série de modèles s'inspirant, sur le plan conceptuel, de la cybernétique.
Dans ces modèles appelés "multi-box" ou à "registres", une information instantanée copiée par le système sensoriel suit linéairement une série de traitements. Ces traitements consistent parfois en un enrichissement de l'information à partir des traces déposées antérieurement dans des mémoires à long terme, parfois simplement en un changement de code : par exemple, le passage d'un code "visuel" à un code "auditif". Un tel exemple est représenté dans la figure suivante :
Modèle de lecture adapté d'après MACKWORTH ( 1972 ).
Les rectangles représentent des systèmes de traitement, les cercles des mémoires à court terme. Les flèches indiquent la direction du processus.
En partant de ces modèles les recherches essaient de cerner les caractéristiques fonctionnelles de l'acquisition et du traitement de l'information : vitesses, unités, rémanences...
Cette optique demande une grande finesse expérimentale, pour quantifier l'information fournie, pour essayer d'arrêter le processus hypothétique de traitement à un endroit donné, pour mesurer les réponses. On utilise alors des techniques d'inspiration psychophysiologique ( mesure de seuil, délais de réponse... ), voire des techniques neurophysiologiques ( amnésie après électrochoc ).
Par ailleurs les recherches font appel à des concepts issus de la psycholinguistique ou de la théorie de l'information.
4.3 – CRITIQUE
En dehors d'une analyse fine de ces travaux, la remarque critique la plus importante à adresser à ces modèles concerne leur possibilité de généralisation.
En essayant d'approfondir l'analyse détaillée d'un processus postulé au départ, le chercheur risque de dédaigner des situations de la vie courante au point de ne travailler que sur un artefact n'existant que dans le laboratoire d'expérimentation.
SPERLING ( 1970 ), par exemple, affine son modèle au point de montrer que lors de la perception d’un groupe de lettres ne constituant pas un mot, le "système visuel" traite ensemble des groupes de 3 lettres en 30 microsecondes. Mais nous voyons mal ce que ce fait permettrait de dire sur les processus perceptifs en général ou sur la lecture d'un journal par exemple.
Pour que la moindre généralisation soit possible à partir des processus impliqués dans ce
type de recherches, il serait nécessaire de montrer leur caractère additif.
Or, pour ne rester que dans l'exemple cité un grand nombre de résultats montrent que les
données de SPERLING ne sont pas applicables à la lecture de suites significatives de
lettres ( i.e. formant des mots ).
5. – LES MODELES DIALECTIQUES : LA GESTALT-THEORIE
5.1. - PRÉSENTATION
La Gestalt est une théorie qui prend en compte le caractère fondamentalement nouveau ( la forme ) de la perception d'un ensemble par rapport à la juxtaposition des perceptions des éléments qui le constituent ( théorie moléculaire ).
Elle est aussi une théorie ouvertement phénoménologique : la perception est une organisation particulière, entre toutes les organisations possibles, des données perceptives.
Le choix de cette organisation particulière dans le processus perceptif est général pour l'espèce humaine, il est, en quelque sorte, inné. Contrairement aux autres pour l'espèce théories dialectiques ( PIAGET, BRUNER ) ce choix ne résulte pas de la rencontre particulière entre un sujet et un environnement donnés.
Pour la Gestalt les structures du réel correspondent à des structures neurologiques similaires ( relation isomorphique ). C'est cet isomorphisme préexistant qui conditionne la perception : les structures introduisent une organisation particulière, celle de la "bonne forme" ou "forme prégnante".
5.2. - LES BONNES FORMES
Cette théorie, qui peut apparaître rébarbative au néophyte, ne doit pas cacher un énorme travail expérimental pour mettre en lumière la primauté de ces bonnes formes ( 1 ).
(1) Pour une revue approfondie, voir GUILLAUME ( 1937 ) ou KOFFKA ( 1962 ).
En général, une bonne forme est simple, symétrique, fermée. Le cercle constitue, peut être, la bonne forme par excellence. Ainsi, JOHANSSON ( 1975 ) rapporte un protocole expérimental dans lequel deux points lumineux circulants sur une ellipse, situés dans un plan perpendiculaire à la direction du regard de l'observateur, sont perçus se déplaçant sur un cercle incliné par rapport à cette droite.
D'après JOHANSSON ( 1975 )
Pour la Gestalt, ce sont les structures qui priment à la fois sur le sujet et sur le stimulus, pour préserver, comme le dit KOFFKA ( 1962 ) la constance des choses réelles malgré leurs changements apparents.
Autrement dit, la bonne forme se conserve dans la perception malgré les changements du
stimulus. Cette conservation obéit à certaines lois : similitude, transposition, constance ( que
nous avons déjà signalé )...
Ainsi, l'ellipse ou le cercle tronqué représentés ci-dessous sont perçus en tant que cercles,
lorsqu'ils sont présentés dans un temps bref. La loi de similitude explique ce fait par la
primauté du cercle en tant que "bonne forme".
D'après GUILLAUME (1937)
5.3. - CONCLUSION
A l'heure actuelle, la Gestalt-théorie est incapable de résister aux critiques qui lui ont été adressées, en particulier contre le caractère inné ou primitif des structures perceptives ( voir par exemple FRANCES, 1963 ). Mais elle reste capitale en tant que corpus de données permettant d'avancer l'importance première de la structuration introduite dans les données sensorielles par les processus perceptifs.
Que cette structuration soit extérieure et antérieure au perceveur, ou que, au contraire, elle soit introduite par le sujet, il n'en reste pas moins qu'elle n'est pas dans le stimulus, mais dans la rencontre entre celui-ci et le sujet perceveur.
A partir de là, l'accent peut être mis sur les lois de structurations constantes chez tous les sujets humains, conformément aux choix du modèle Gestaltiste. Mais, on peut aussi signaler les variations de ces structurations en fonction du développement ou des attitudes, et indiquer que les structurations primitives sont en fait inséparables de l'expérience perceptive des formes qui nous entourent. On adopte alors une attitude ouvertement dialectique puisque l'état nouveau - structuration - résulte de la confrontation de deux états antérieurs plus simples ( le sujet et son environnement ).
5.4. – REMARQUE
Dans le domaine de l'étude du témoignage humain, la connaissance des faits expérimentaux apportés par les gestaltistes est fondamentale pour la compréhension du rapport existant entre la forme projective d'un stimulus et la forme globale perçue par le témoin.
L'exemple de la forme prégnante du cercle illustre cette affirmation. Il permet d'expliquer le fait que certains témoins attribuent une forme de disque à une image visuelle qui n'est qu'une ellipse, voire une lunule.
Ce phénomène a été signalé dans quelques cas où le stimulus a été identifié a posteriori ( voir, par exemple EBERS et al, 1981 ).
Mais la connaissance des lois gestaltistes doit avant tout permettre de mieux cerner les appréciations des caractéristiques formelles d'un stimulus inconnu, apportées par un témoin.
6. - LES MODELES DIALECTIQUES : J. PIAGET
6.1. – PRÉSENTATION
PIAGET ( 1961 ) se situe d'emblée en opposition avec la Gestalt-théorie, gêné par le caractère invariant de la structuration perceptive, tout en acceptant le principe de cette dernière.
Nous pouvons résumer la théorie de PIAGET avec les idées suivantes :
Il y a deux niveaux perceptifs, situés dans le temps ( les "effets primaires" et les "activités perceptives" ). C'est donc une théorie linéaire ( 1 ).
Le deuxième de ces niveaux ( les activités perceptives ) implique une interrelation, entre l'événement et le sujet, qui construit la représentation perceptive ( percept ). C'est une théorie dialectique ( 1 ).
Un élément sensoriel ( par exemple un point, une forme, projetés sur la rétine ) ne constitue pas, pour PIAGET une unité perceptive. C'est la relation entre plusieurs éléments sensoriels ( la grandeur relative de deux droites par exemple ) qui est une unité ( donnée, élément ) perceptive. C'est une théorie moléculaire ( 1 ).
Le deuxième niveau perceptif ( les activités perceptives ) se restructure en permanence avec l'âge du sujet ; en même temps, le premier niveau ( les effets primaires ) tend à disparaître. C'est une théorie évolutive ( 1 ).
(1) Voir 1.2. et suivants.
6.2. - LES NIVEAUX PERCEPTIFS
Les effets primaires ( ou "effets de champ" ) résultent du mécanisme de "centration" : c'est la surestimation d'un élément du "champ perceptif" ( ou élément sensoriel ) par rapport aux autres.
Les activités perceptives régulent les effets primaires par "transposition", "comparaison", "schématisation"... Ce sont les mises en rapport des relations.
En général, il s'agit de centrations successives sur tous les éléments du champ perceptif, qui compensent les surestimations découlant de chacune d'entre elles. Mais cette décentration n'est jamais complète ; la perception résulte d'un équilibre, en fonction des probabilités de rencontre dans le champ perceptif.
Le processus perceptif selon PIAGET dépasse une conception instantanée de la prise d'information perceptive. Les activités perceptives sont des "processus qui relient les centrations à des distances dans l'espace ou dans le temps excluant une interaction immédiate". L'activité perceptive s'accompagne donc toujours d'un processus d'analyse et de traitement des données dont elle est indissociable.
La schématisation est l'activité perceptive la plus complexe. "Le schéma perceptif est le produit d'activités perceptives ( exploration, transposition... ) telles que, en présence d'objets appartenant à une même classe ( 1 ), le sujet se livre aux mêmes formes d'exploration et de mise en relation, jusqu'à l'identification perceptive".
(1) a posteriori ou pour un observateur extérieur.
6.3. - LES ERREURS PERCEPTIVES
Par rapport au témoignage humain, PIAGET a mis en évidence "l'erreur de l'étalon". La centration sur un élément particulier de l'espace perceptif le privilégie par rapport aux autres, il est alors surestimé.
Cette hypothèse a été confirmée par quelques expériences portant sur la comparaison de la longueur de plusieurs segments. On a montré la surestimation :
du segment sur lequel se centre le regard,
du segment situé en vision périphérique mais imposé par l'expérimentateur,
du segment fixé plus longtemps ou en dernier ( cités par PIAGET, 1961 ).
Le deuxième niveau perceptif, les activités, introduit aussi des erreurs caractérisées. Le percept est, en effet, dépendant des schémas disponibles et choisis par le sujet. Il n'est pas ce que sujet "voit" mais ce que le sujet "sait" de ce qu'il voit. Par exemple, PIAGET et INHELDER ( 1968 ) demandent aux enfants de reproduire deux figures composées chacune de quatre allumettes, une droite et un W ( voir figure ( a ) ci-dessous ).
D'après PIAGET et INHELDER (1968)
Les enfants de 7 ans arrivent à reproduire le bon nombre de traits, mais en augmentant la taille de la deuxième figure, les enfants considéraient que deux figures ayant le même nombre d'éléments ( 4 ) devaient occuper la même longueur ( voir fig. b ). Seuls quelques enfants reproduisent la bonne taille de la deuxième figure, lorsqu'ils l'assimilent à la lettre W.
6.4. - CONCLUSIONS
En résumé selon la théorie de PIAGET, la perception se trouve dans la rencontre entre un univers non structuré et un sujet qui, isolé, introduit des relations ; il structure.
La perception est proche du réel, dans la mesure où l'expérience du sujet le conduit à élaborer des schémas de plus en plus adaptés à ce réel. Mais elle est toujours approximative, puisqu'elle travaille sur des effets de champs ( centration ) et sur des schémas perceptifs.
7. – LES MODELES DIALECTIQUES : LE NEW LOOK
7.1. - LES DONNÉES DE LA PSYCHOLOGIE SOCIALE EXPÉRIMENTALE
La plupart des courants expérimentaux cités se préoccupent exclusivement de mettre en rapport les réponses du processus perceptif avec le stimulus perçu. Celui-ci est considéré comme étant la principale variable indépendante ( 1 ).
A côté de cela, un autre courant s'est développé, mettant l'accent sur la pertinence d'un grand groupe de variables, qui sont à rattacher au sujet perceveur en tant qu'individu, ou être social. Ce courant est à l'origine d'un large éventail de recherches incorporées, abusivement parfois, au champ de la psychologie sociale ( 2 ).
(1) sauf PIAGET, qui introduit la variable génétique.
(2) Pour un aperçu détaillé en langue française, le lecteur peut consulter plusieurs recueils de travaux : LEVY ( 1965 ), FAUCHEUX et MOSCOVICI ( 1971 ), POITOU ( 1974 ).
Nous faisons ici un rapide tour d'horizon des données qui permettent d'étayer les modèles dialectiques de la perception.
7.2. - LES PROBABILITÉS D'APPARITION DE L'EVENEMENT
Quelques recherches montrent le rapport entre la perception et le nombre d'éventualités
offertes dans la situation expérimentale ( par exemple : BRUNER et al, 1955 ). Plus le nombre
est faible, plus le sujet reconnaîtra facilement l'une d'elles.
( Par "plus facilement", nous entendons : dans un temps de présentation plus court ou malgré
un masquage prononcé ).
Lorsque les éventualités ne sont pas équiprobables, la perception de l'une d'elles est d'autant plus facile que sa probabilité d'apparition est grande. Par exemple HOWES et SALOMON ( 1951 ) montrent que le temps nécessaire pour qu'un mot soit identifié va de pair avec sa fréquence dans la langue.
Cette probabilité d'apparition est apprise par l'individu : SALOMON et POSTMAN ( 1952 ) font lire une liste de 110 mots inventés qui se répètent plusieurs fois ; la fréquence d'apparition varie entre une et 25 fois selon les mots. Dans une épreuve de reconnaissance ultérieure, on montre que la facilité pour percevoir un mot dépend de sa fréquence d'apparition lors de la phase de lecture.
Ainsi, d'autres psycholinguistes montrent que l'effet de facilitation perceptive est à relier à des fréquences propres pour chaque individu, plutôt qu'à des fréquences générales ( par exemple : EHRLICH 1966 ).
L'effet de facilitation de la fréquence peut être réactualisé pour chaque situation particulière. BITTERMAN et KNIFFIN ( 1953 ) montrent que des mots "tabous", qui n'étaient pas perçus consciemment au début de l'expérience, sont reconnus de plus en plus facilement à mesure que l'expérience se déroule. Le sujet utilise les actuelles probabilités d'apparition, malgré son refus à percevoir certains mots.
Nous pouvons résumer ces données à l'intérieur d'une proposition : la perception dépend des probabilités d'apparition du stimulus. Ces probabilités sont apprises grâce à l'expérience mais elles se restructurent à chaque situation particulière.
7.3. – L'ASSIMILATION PERCEPTIVE
D'autres expériences s'accordent avec une deuxième proposition : face à un stimulus ambigu, le sujet assimile celui-ci à une classe particulière d'objets.
Les classes choisies dépendent des facteurs culturels et sociaux ( par exemple, TAJFELL, 1969 ), des facteurs psychosociaux tels que les stéréotypes ( par exemple, ALLPORT et POSTMAN, 1947 ) ou les cadres de références.
Ainsi, POSTMAN et al. ( 1948 ) montrent que les valeurs dominantes ( le cadre de référence ) du sujet influent sur sa perception de la langue. Les sujets expérimentaux perçoivent plus facilement les mots correspondant à leurs valeurs dominantes, testées par ailleurs. Ils arrivent même à percevoir des mots différents de ceux qui leur sont présentés mais qui correspondent mieux à leur cadre de référence.
Les classes choisies dépendent aussi de facteurs transitoires tels que la faim. LEVINE et al, ( 1952 ), par exemple présentent une série de dessins ambigus à des sujets à jeun. Ils observent une tendance à percevoir les dessins comme ceux d'aliments, tendance qui s'accroît avec le nombre d'heure de jeune. Un groupe de contrôle perçoit différemment les dessins.
Le gain ( économique par exemple ) est aussi un facteur pouvant conditionner la classe perçue dans un stimulus ambigu ( par exemple, SCHAFER et MURPHY, 1943 ) ou la taille d'un stimulus sans ambiguïté ( par exemple DUKE et BEVAN, 1952 ).
A un niveau moins provisoire BRUNER et GOODMAN ( 1947 ) par exemple montrent que les enfants pauvres surestiment la grandeur de pièces de monnaies, plus que des enfants issus de milieux riches.
7.4. - LES ATTENTES PERCEPTIVES
Ces données permettent d'introduire une autre proposition : les probabilités d'apparition sont fondamentalement subjectives et préexistantes à la confrontation avec le stimulus. Elles peuvent être reformulées en "attentes perceptives", subjectives, dépendantes de l'expérience antérieure et de la situation actuelle.
En effet, le contexte actuel d'un stimulus conditionne en partie les classes perceptives mises en attente. Nous avons déjà cité ( ESTERLE et JIMENEZ, 1981 ) à ce propos quelques données tirées de plusieurs contextes théoriques.
Par exemple, les recherches concernant l'anticipation dans la lecture courante ( par exemple, FIJALKOW et al, 1980 ) montrent qu'un même groupe de lettres est perçu différemment selon les attentes introduites par le contexte qui le précède ( 1 ).
(1) Récemment MORIN ( 1981, page 18 ) fournit à son insu le contre exemple :
"C'est pourquoi du reste nous avons tant de difficulté à discerner une couille d'imprimerie... je me demande
combien de lecteurs ont remarqué que j'avais délibérément fait imprimer le mot couille, à la place du mot
coquille ?" Contrairement aux attentes de l'auteur, peu de lecteurs lisent "coquille" à la place de "couille" ; le
contexte ne permettait pas d'anticiper particulièrement sur le mot "coquille".
En dehors du contexte réel du stimulus, les attentes perceptives peuvent être induites socialement grâce aux informations fournies avant la confrontation.
Ces informations peuvent être vraies ( par exemple FRAISSE et BLANCHETEAU, 1963 ) ou fausses, ce qui est le cas le plus courant dans le paradigme des "processus d'influence" que nous aborderons plus loin dans la présente note. Dans tous les cas, on constate que tout se passe comme si l'information fournie facilitait l'assimilation du stimulus à la classe indiquée même si celle-ci ne correspond réellement au stimulus. Citons aussi COWEN et BEIER ( 1951 ) qui montrent que la perception des mots tabous peut être facilitée aussi en avertissant les sujets de leurs présentations.
La proposition selon laquelle les probabilités subjectives d'apparition se cristallisent dans des attentes perceptives, dans des "hypothèses perceptives" est particulièrement cohérente avec les expériences où ces hypothèses sont induites en présentant des versions dégradées d'un stimulus, légèrement différentes de celle qui devra être identifiée ( par exemple BRUNER et POTTER, 1964 ).
7.5. - PROCESSUS PERCEPTIF DE DECISION
D'autres données montrent que l'exploration perceptive n'est pas exhaustive, mais qu'elle procède en échantillonnant certains indices du stimulus pour en décider sa classe d'équivalence. Ces données portent par exemple, sur les mouvements oculaires lors de l'exploration visuelle ( YARBUS, 1967 ) ou sur les traits distinctifs d'un stimulus particulier ( par exemple OLERON et DANSET, 1963 ).
Proposition : la perception comprend un processus de décision, consistant à assimiler le stimulus à une classe d'objets lorsqu'il présente un certain nombre d'indices.
Proche de nos préoccupations, le caractère de processus de décision s'accorde avec les situations où la seule ambiguïté réside dans l'absence d'indice réel sur l'éloignement d'un objet.
Les expériences de KILPATRIK ( 1961 ) en utilisant la "Chambre d'Ames", celles de POSTMAN et TOLMAN ( 1959 ) avec des cartes de jeu de dimensions anormales ou celles de GOGEL ( 1969 ) sur les distances apparentes, sont de ce type.
La Chambre d'Ames, par exemple, est une pièce en forme de tronc de pyramide irrégulier mais qui peut apparaître de dimensions régulières en vision monoculaire. Si on introduit des personnages dans la chambre leur taille apparente dépendra de l'éloignement que leur attribuera l'observateur. Les résultats s'accordent avec un processus de décision attribuant une taille particulière, en fonction des cadres de référence du sujet.
Nous signalons finalement les recherches suggérant des processus de banalisation de stimulus fortement Improbables. BRUNER et POSTMAN ( 1949 ), par exemple, montrent la tendance à voir un quatre de trèfle rouge soit comme un quatre de carreau ( rouge ) soit comme un quatre de trèfle ( noir ).
Tout se passe comme si le processus perceptif décidait de classer le stimulus dans une catégorie correspondant aux attentes, grâce à une déduction qui ne prend en compte que quelques indices.
7.6. - LES MODÈLES PSYCHOSOCIAUX
Plusieurs chercheurs ont fait appel à ce type de recherches pour signaler l'importance du vécu social chez l'individu. Ainsi, ils expliquent le caractère subjectif de la perception par le "besoin de réduire les écarts dissonants entre divers éléments vécus" ( FESTINGER, 1957 ), ou par "l'effort de transformation du stimulus dans une structure adaptée aux intérêts du sujet" ( ALLPORT et POSTMAN, 1947 ).
Récemment MOSCOVICI ( 1976 ) a largement exposé son point de vue, mettant l'accent sur "la tendance à réduire l'incertitude".
D'autres auteurs ( KILPATRIK BRUNSWIK, BRUNER... ) se sont préoccupés du fonctionnement du processus ; ils ont présenté des modèles explicatifs s'appuyant parfois sur les propositions que nous venons d'énoncer.
Dans le cadre du présent travail, nous nous attarderons sur le modèle de BRUNER, dans la mesure où il semble très cohérent par rapport aux propositions citées.
8. – LES MODELES DIALECTIQUES : J.S. BRUNER
8.1. - PRÉSENTATION
Au regard de la théorie de PIAGET, on peut dire que BRUNER se centre fondamentalement sur "l'activité perceptive de schématisation" en y ajoutant une dimension affective.
La théorie de BRUNER ( 1957, 1958 ) apparaît comme une théorie essentiellement dialectique, axée sur la signification que le sujet attribue au stimulus ( 1 ).
(1) Nous avons déjà parlé de certains aspects de la théorie de BRUNER dans une publication récente cf. JIMENEZ, 1981. Nous ne reprenons ici que les lignes générales, ayant leur place dans le présent travail.
Les traits principaux du modèle de BRUNER sont les suivants :
La perception est assimilable à la déduction d'une catégorie ou "classe d'équivalence" ( une sorte d'étiquette ) à partir de la reconnaissance, dans l'événement, d'une série d'attributs ou "indices" caractéristiques de la classe d'équivalence ( 1 ).
Par exemple : "l'objet qui est devant vous est rectangulaire, en papier, comportant des mots typographiés en lignes c'est donc une revue".
(1) Il s'agit d'un passage du particulier au général des indices à la catégorie. En logique classique, on emploie le terme "induction" plutôt que "déduction".
Une classe d'équivalence ( par exemple "revue" ) est un ensemble d'objets ou événements considérés comme équivalents.
Les indices ( par exemple : "rectangulaire, en papier..." ) sont des attributs de définition de la classe d'équivalence. Le nombre d'indices est toujours restreint : il n'est pas le résultat d'un examen exhaustif.
En outre, pour une même classe, les indices pris en compte peuvent varier. Par exemple, en règle générale le processus demandera moins d'indices pour percevoir que tel objet est une revue, lorsqu'elle se trouve dans les rayons d'une bibliothèque que dans un bac à jouets.
La perception est évolutive ; elle se construit en fonction des expériences perceptives. On apprend à percevoir, en associant à chaque catégorie une série d'indices et en profitant de l'expériences acquise pour améliorer les séries d'indices de façon à les rendre de plus en plus caractéristiques des différentes catégories.
Dans l'exemple cité, on apprend que telle configuration correspond à une page de revue mais aussi qu'on pourra lire son contenu grâce aux indices linguistiques, ou la prendre grâce aux indices de distance découlant de la constance de la taille voir Gestalt-théorie, plus haut.
La perception est, au moins en grande partie, "inconsciente" ( 2 ). En général, le sujet n'a conscience que du résultat du processus perceptif ( la "réponse perceptive" ). Cette réponse peut être simplement cognitive "ce n'est qu'une revue" ou motrice : "c'est la revue que je cherchais, je la prends pour..."
(2) "Silencieuse" dit BRUNER.
La réponse perceptive est un moment particulier où l'organisme décide de transformer son comportement, en considérant la déduction perceptive comme "vraie". Et cela, même si elle ne s'appuie que sur un nombre restreint d'indices, donc même si elle peut être erronée. Le processus perceptif est assimilable à un "processus de décision".
La perception est donc à un moment donné probabiliste, en fonction principalement :
du nombre et de la qualité des indices effectivement disponibles ( stimuli ambigus ou perçus brièvement, ou masqués... ) ;
du besoin de réponse : caractère adaptatif de la perception qui doit trouver un compromis entre la sécurité ( être sûr d'avoir raison ) et la rapidité ( avoir besoin d'une réponse rapide pour définir un comportement ) ;
de "l'accessibilité" de la catégorie ( nous y reviendrons plus loin ).
La perception est un processus dynamique, un va et vient continuel entre les indices qui permettent de reconnaître la catégorie et la catégorie qui permet d'interpréter d'autres indices.
8.2. - L'ACCESSIBILITÉ
L'accessibilité d'une catégorie est un concept purement théorique : on considère qu'une catégorie est très accessible lorsque peu d'indices suffisent au sujet pour décider que l'événement perçu appartient à cette catégorie. Il en découle que plus l'accessibilité est grande :
plus l'événement correspondant réellement à la catégorie sera perçu facilement,
plus le nombre d'événements ( vrais ou faux ) pouvant être perçus comme appartenant à la catégorie est grand,
plus il devient probable que le sujet aura de difficultés à décider que l'événement appartient à d'autres catégories, y compris celles qui pourraient mieux le décrire.
Par exemple, pour un chasseur, plus l'accessibilité de la catégorie lapin est grande, plus un lapin sera perçu facilement, plus il percevra de lapins, moins il percevra que des non-lapins ne sont pas des lapins ( ce qui peut entraîner des accidents ).
L'accessibilité est fonction des probabilités subjectives d'occurrence des événements. En règle générale, ces probabilités ne sont pas indépendantes les unes des autres. Un objet ou événement n'a pas une probabilité d'occurrence, objective ou subjective en soi, mais une probabilité liée à d'autres facteurs qui peuvent être :
Les événements antérieurs : le contexte temporel et spatial de ce qu'on est en train de percevoir est mis en relation avec les classes d'objets ou événements perçus dans des contextes analogues. Cela s'applique aussi aux caractéristiques qui accompagnent habituellement un objet ou événement venant d'être reconnu globalement par exemple, la perception d'une revue rend plus accessible les catégories linguistiques ( lettres, mots... ).
Les attentes intrinsèques du sujet à un moment donné, ce qu'il désire ou ce qu'il craint.
Nous avons parlé d'un chasseur, dans l'exemple cité plus haut, pour signaler un type de sujet pour qui la classe lapin est, dans la plupart des cas, très accessible.
Nous avons déjà appelé ( 1 ) "échelle d'attente cognito-affective" les deux facteurs "d'événement antérieur" et "d'attentes intrinsèques". Cette échelle est en rapport, bien entendu, avec l'expérience subjective que chaque individu a du monde des objets et des événements. Mais il est aussi fonction de l'information apportée par chaque situation particulière, c'est-à-dire des réponses aux premières hypothèses perceptives concernant un objet ou événement donné.
(1) JIMENEZ, 1981.
8.3. – CONCLUSION
En résumé, selon la conception de BRUNER, la perception est un processus dynamique il n'y a pas un acte perceptif, ni non plus une série d'actes perceptifs, mais un ajustement qui se fait progressivement entre le perceveur et son environnement en termes de déductions probabilistes.
Le caractère adaptatif du processus pousse finalement le sujet à prendre, à des moments particuliers, des décisions perceptives en assignant l'événement à une certaine catégorie.
9. – RECAPITULATION
Dans ce survol rapide de la psychologie de la perception, nous avons essayé de présenter d'un côté les données scientifiques et de l'autre les théories avec leurs postulats ou propositions. Cela ne s'est pas fait sans difficulté puisque, nous le rappelons, chaque théorie entretient des relations étroites avec un terrain expérimental favori.
Nous conclurons ce chapitre avec un résumé de ce qui est actuellement bien établi sur la perception humaine.
En règle générale, le processus perceptif est le fruit d'une interaction entre l'organisme et son environnement qui n'est réductible ni à l'un ni à l'autre. Mais dans les cas extrêmes une brusque discontinuité dans l'environnement peut présenter une "nouveauté" qui déclenche le processus ou au contraire, ce déclenchement peut avoir son origine dans des "attentes" particulièrement fortes du sujet.
Certaines études partielles en psychophysiologie montrent le cheminement linéaire du message sensoriel des récepteurs vers le cerveau. Mais ils ne permettent pas de comprendre comment l'organisme construit son information c'est-à-dire attribue des significations aux configurations physiques ou physico-chimiques ( 1 ). Mais la psychophysiologie apporte la preuve de l'existence de mécanismes d'adaptation, sélection, ajustement entre le système nerveux central et les récepteurs sensoriels. En tout état de cause cela ne peut être compris que comme le fait de l'activité perceptive.
Il apparaît en corollaire que la signification pour le sujet de la situation est un facteur constitutif de sa perception.
La fidélité de la représentation perceptive reste la question la plus délicate. Il va de soi qu'en règle générale, la représentation est suffisamment proche de la réalité pour remplir sa fonction adaptative. Mais on constate aussi des différences, parfois très marquées, dans les représentations de sujets différents ou chez un même sujet.
Le plus prudent au moment actuel est de considérer la fidélité de la représentation comme dépendante de l'adéquation des "motivations" et de l'expérience perceptive du sujet à la situation vécue. Et cela même si certaines représentations particulières sont innées chez l'espèce humaine.
"La perception porte en elle une objectivité certaine, étant donné que ces catégories référentes lui ont été dictées par le milieu et que le processus d'identification est une vérification continuelle d'hypothèses partielles. Parfois, cette objectivité est mise en échec, quand la mauvaise catégorie se substitue à la bonne par suite d'une tromperie du milieu ou une mauvaise disposition ( préparation ) du sujet" ( DROZ et RICHELLE 1976, page 218 ).
(1) Cf. par exemple les aveugles de naissance qui, récupérant la vue, sont incapables de comprendre, pendant quelques semaines, ce qu'ils voient.
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